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Le pourquoi de l’oppression par John Stoltenberg, publié le 20 décembre 2020
Voici un récit à propos du pire récit jamais raconté.
C’est celui que l’on vous raconte s’il a été décidé à votre naissance que vous deviez grandir pour devenir un vrai garçon et, un jour, un vrai homme. Cette décision a été prise à la va vite, après une simple inspection visuelle de votre entre-jambes de nouveau-né. Et personne ne vous a demandé votre avis puisque vous veniez tout juste de naître. Pourtant, cette décision allait déterminer une grande partie de votre vie, peut-être même sa plus grande partie.
Vous connaissez tous ce récit : d’abord être un vrai garçon pour ensuite devenir un vrai homme.
Si vous faites partie de ceux à qui on a raconté ce récit, non seulement on vous l’a raconté, mais on vous a appris à le raconter aux autres pour que vous puissiez vous le raconter à vous-même. Si vous avez bien appris le récit, vous devrez le raconter aux autres et à vous-même, incessamment, pour le reste de votre vie. Et ce récit n’est pas seulement le vôtre. Il est raconté presque partout, presque tout le temps, tout autour de vous.
J’appelle ce récit le Code Alpha.
Le Code Alpha ressemble au système d’exploitation d’un ordinateur personnel, comme un code de programmation qui traite l’information et prend des décisions selon une certaine logique. L’ordinateur est un objet bien réel, mais c’est le système d’exploitation qui lui dit comment penser. Il en est de même pour vous: vous existez dans un corps humain bien réel, mais une partie de votre fonctionnement obéit à la logique du Code Alpha :
D’abord être un vrai garçon, et ensuite un vrai homme.
Certaines personnes peuvent penser que le Code Alpha, c’est vous, que vous ne pouvez pas vous en distinguer. Mais tout comme un système d’exploitation informatique, le Code Alpha n’est pas matériel; c’est un simple programme avec une logique et un objectif particuliers. Il est en vous pour que vous craigniez de ne pas encore être un homme à part entière, pour que vous ne cessiez de tout faire pour devenir un homme, un vrai. Il est en vous pour vous terrifier à l’idée d’échouer à cette tâche.
Vous connaissez cette panique qui s’empare de vous quand un homme qui tente d’être un vrai homme vous humilie ou vous rabaisse, parce que vous n’êtes pas suffisamment un vrai homme ? Vous avez l’impression d’être comparé et vous avez peur. C’est votre Code Alpha qui se met en alerte. Il est conçu pour déclencher votre réaction de panique à tout moment où vous échouez à être le vrai homme que le Code Alpha dit que vous devez être.
Commodément, le Code Alpha s’accompagne de quelques directives de base sur la façon de gérer cette panique. La première est une règle simple : pour être celui que vous devez être, vous devez toujours vous assurer que vous n’êtes pas celui que vous ne devez pas être.
Décortiquons cela.
Comme dans le langage informatique, le code Alpha est binaire : soit vous êtes ce que vous êtes censé être – un vrai garçon, et ensuite un vrai homme – soit vous ne l’êtes pas.
Et tout comme dans la programmation informatique, le code Alpha fonctionne en mode si/alors : pour être ce que vous devez être, il vous faut « alors » toujours vous assurer que vous n’êtes pas ce que vous ne devez pas être.
« Toujours » pour le code signifie à chaque minute de votre vie.
« S’assurer » signifie pour le code qu’il ne doit y avoir absolument aucun doute ou confusion, dans votre esprit ou dans celui de quiconque d’autre, sur ce que vous êtes : un homme, un vrai.
Et par « qui vous ne devez pas être », le code signifie…
Laissez-moi faire une pause momentanée. Vous pensez peut-être savoir où conduit cet argument. Vous pensez peut-être que « ceux auquel vous ne devez pas ressembler » sont tous ceux dont l’inspection de l’entre-jambes à la naissance n’a pas donné le droit et l’obligation de raconter le même récit que celui que vous pouvez ou devez raconter. Et vous pourriez penser que votre code Alpha – le récit que l’on vous a appris à vous raconter et à raconter à tous les autres en permanence pour qu’il ne puisse y avoir de confusion à cet égard – consiste simplement à signaler le résultat de l’inspection de votre entre-jambes à la naissance.
Il y a certainement beaucoup de choses dans la vie qui servent à signaler ce résultat. Les vêtements que vous portez. Votre coiffure. Les loisirs que vous aimez. Ce qui vous excite. Votre stature et votre force. La liste est longue, et presque tout ce qui est associé à la soi-disant masculinité y figure – c’est la signalisation sociale de votre soi-disant sexe. Mais ce n’est pas l’objet du Code Alpha. Cela ne désigne pas la logique de base du Code Alpha. Cela n’explique pas pourquoi l’on doit obéir au code Alpha.
Le Code Alpha définit ce que vous devez être et ne pas être dans un système d’identité brutalement binaire. Vous êtes censé grandir pour devenir un homme, un vrai, un homme qui sait qu’il est un homme et un homme que tout le monde considère comme un homme. C’est votre mandat dans la vie. Votre récit le dit. Les récits racontés tout autour de vous le disent. Et si vous n’y arrivez pas, si vous n’êtes pas à la hauteur, si un doute persiste dans votre esprit et dans l’esprit de tous les autres, alors vous n’êtes ni un vrai homme, ni même un aspirant homme. Ce n’est pas comme si vous étiez quelqu’un qui prend un jour de congé mais qui peut reprendre le boulot en un rien de temps et compenser tout le travail qu’il a manqué.
Non, ce n’est pas ce qui se passe si vous désobéissez au mandat que vous dicte le code Alpha. Ce qui se passe si vous ne faites pas ce travail, c’est que vous devenez moins que rien.
Moins. Que. Rien.
Je ne dis pas que l’on vous méprend pour une personne dont l’inspection de l’entre-jambes a conduit à une autre conclusion. Je dis que votre identité même cesse d’exister. Le fondement de votre être a disparu. Il n’y a plus de vous. Parce que selon la logique identitaire exclusionnaire du Code Alpha, si vous ne racontez pas votre récit de manière convaincante, votre identité même est anéantie.
Ce petit bogue est intégré à votre copie personnelle du code Alpha, et il est intégré à toutes les récits du Code Alpha qui sont racontés autour de vous.
Si vous n’êtes pas un vrai homme, vous êtes moins que rien.
Vous serez peut-être traité de tous les noms. Vous serez peut-être victime d’intimidation, d’humiliation ou d’agression physique ou émotionnelle. Si vous ne réussissez pas à être un vrai garçon et un vrai homme à l’äge adulte, vous savez que les réponses punitives peuvent être très très nombreuses. Mais le pire, le plus effrayant, c’est la promesse de répercussions que vous fait le récit du code Alpha. La promesse que vous font tous ceux qui s’en prennent à vous en s’en prenant à vous. Le récit que l’on vous a amené à croire au plus profond de vous.
Si vous n’êtes pas un vrai homme, vous êtes moins que rien.
Vous avez peut-être remarqué que ce petit bogue propre au récit du code Alpha suscite beaucoup d’inquiétude dans le monde. Et ce n’est pas étonnant. Les enjeux en cause sont très élevés. Partout, des personnes paniquées racontent ce récit de manière convaincante, pour elles-mêmes et pour les autres, en l’affirmant par tous les moyens nécessaires. La rage, l’agressivité, le dénigrement, la violence sont des méthodes courantes pour ce faire — autant de comportements provoqués par la panique qui s’installe quand le code Alpha est en alerte:
« Je suis un vrai homme ! Je suis un vrai homme ! Tu vois ? Vous voyez ! ? »
Vous avez certainement vu des personnes se comporter de façon aussi grotesque, et vous avez peut-être vous-même déjà fanfaronné de cette manière. Ce que vous n’avez peut-être pas remarqué, c’est que le système de programmation commun à toutes ces crâneries est le Code Alpha.
Vous n’êtes pas né avec le Code Alpha. Il n’est pas inné en vous comme la faim ou le sens du toucher. Il est différent de votre type de corps, de votre gamme vocale ou de votre « plomberie ». Le Code Alpha existe en vous parce qu’il y a été placé. C’est votre copie personnelle du programme, comme s’il portait votre numéro de série, mais il n’a rien d’individuel. C’est le même Code Alpha qui est programmé chez tous ceux qui tentent d’être un vrai homme.
Le Code Alpha en lui-même est uniforme. C’est la façon dont il vous a été inculqué qui est personnelle et individuelle.
Le plus souvent, le Code Alpha est intégré quand un enfant subit une violence — une humiliation traumatisante, par exemple.
Même si le Code Alpha est le même pour tous, il crée habituellement chez les gens des traumatismes différents, avec différents niveaux d’humiliation. C’est parce qu’il existe différentes expressions et réactions au Code Alpha qu’il peut sembler discret ou inactif chez certains, tandis que chez d’autres il se révèle très agressif, voire mortel. Mais tous ceux qui portent le Code Alpha en eux ont connu un genre de malheur, sinon ils ne l’auraient pas.
Si vous essayez de vous remémorer l’humiliation traumatisante qui a installé votre Code Alpha personnel, peut-être en aurez-vous des souvenirs très nets, ou vous ne vous souviendrez que de quelques détails ou peut-être n’en aurez vous aucun souvenir. Le Code Alpha tente d’effacer vos souvenirs, surtout s’il a été installé par des violences physiques ou émotionnelles, parce qu’avoir des souvenirs de sa propre vulnérabilité n’est pas compatible avec l’idée d’être un vrai homme. La logique de la honte traumatique est très simple, pour que jamais vous n’oubliiez qu’être vulnérable, c’est être moins que rien. C’est pour cela que votre Code Alpha désactivera la capacité d’empathie qui, elle, vous est réellement propre dès la naissance.
Dans l’arène politique, on peut facilement reconnaître le Code Alpha qui sévit sans filtre chez les despotes, les tyranneaux et les autocrates en herbe. En économie, ce code s’exprime dans le capitalisme sauvage. De manière plus proche et personnelle, le Code Alpha se dévoile dans les raclées et les viols. Le Code Alpha est le moteur de la majorité des événements à se produire dans le monde.
Si vous n’êtes pas un vrai homme, vous êtes moins que rien.
Comment savoir si l’on est porteur du code Alpha ? Il n’est pas difficile à détecter. Rappelez-vous la dernière fois que quelqu’un vous a interpellé à savoir si vous étiez un vrai homme, ou a insulté ce que vous considérez être votre virilité, ou a menacé votre supériorité présumée, ou vous a mis au défi de vous battre comme un homme, réellement ou au figuré. Repensez à ce moment charnière et à ce que vous avez ressenti. À ce moment de provocation qui vous a profondément touché, qui vous a mis dans tous vos états, qui vous a donné l’impression que votre vie était menacée. Ce moment où tout retrait ou concession aurait ressemblé à un suicide. Ce moment où la seule chose que vous vouliez faire était de contre-attaquer, de blesser en retour. Parce que seules des représailles ou une punition pouvaient justifier votre sentiment de qui vous étiez censé être pour être un vrai homme et pour ne pas être perçu comme un perdant.
Ce sentiment – cette impulsion à l’agression pour sauver votre virilité – indique que votre Code Alpha personnel est activé. Et une fois votre code Alpha déclenché, ses instructions sur ce qu’il faut faire de ce sentiment sont très logiques et claires :
Pour ne pas être moins que rien, traitez quelqu’un d’autre comme moins que rien.
J’ai appris ce récit dès ma jeunesse. J’étais un enfant gros et peu athlétique, et les garçons plus âgés, plus forts et plus grands du quartier m’ont inculqué ce récit en me taquinant et en me tourmentant. J’ai alors commencé à raconter moi-même ce récit en taquinant et en tourmentant ma jeune sœur. Je n’ai fait le lien entre l’histoire de ces brutes et la mienne que des années plus tard. Tout ce que je savais à l’époque, c’est que, comparé aux autres garçons que je voyais raconter ce récit, je n’étais jamais assez bon, ce qui me faisait me sentir mal dans ma peau. Je pensais : « Je ne suis pas suffisamment un vrai garçon ! », ce qui s’est transformé plus tard en « Je ne suis pas suffisamment un vrai homme ! ». Oh, bien sûr, j’avais des intérêts et des objectifs, des ami.e.s et une famille qui m’aimaient, me soutenaient et m’acceptaient. Mais j’ai toujours su, au fond de moi, que mon identité, le cœur de mon être, dépendait de la façon dont j’allais m’acquitter de cette histoire de Code Alpha. Et je n’y arrivais pas.
Cela pourrait ressembler à l’angoisse identitaire d’une personne fragile, mais ce n’est pas le cas. C’est une crise existentielle qui touche le monde entier, comme de la neige qui tomberait partout. C’est le point de panique non exprimé, non reconnu, qui est la source de ce que certains ont appelé à tort la masculinité toxique. Il s’agit en fait du Code Alpha, de l’humiliation traumatique qui l’installe et de la gestion de panique qu’il recommande.
Voyez toutes les formes d’humiliation traumatique qu’il faut pour installer et entretenir le code Alpha. L’imposition du genre qui commence dès l’enfance, que les parents infligent à leurs fils, que les fils utilisent pour établir une hiérarchie sociale et pour s’inciter à s’agresser les uns les autres, que les entraîneurs utilisent pour fustiger les athlètes, que les patrons utilisent pour maltraiter les travailleurs, que les armées utilisent pour créer des tueurs, que les riches utilisent pour tenir en respect les pauvres. C’est sans fin. Et ce n’est pas tout, car il existe une mutation du Code Alpha qui lie la hiérarchie sexuelle à la hiérarchie raciale, de sorte que ses détenteurs délimitent et défendent leur identité blanche au moyen de la même dérision et la même déshumanisation que des gens utilisent pour s’affirmer comme de vrais hommes. La haine raciale soutient le pouvoir blanc de la même façon que la misogynie soutient la virilité. Le nationalisme blanc est, à la base, un racket de protection de la virilité, animé par le Code Alpha.
Pour ne pas être moins que rien, traitez quelqu’un d’autre comme moins que rien.
D’une certaine manière, j’ai eu de la chance. Contrairement à bien des gens avec qui j’ai échangé, ou dont j’ai lu les témoignages et à qui leur père a violemment inculqué le Code Alpha – par intimidation, humiliation, violence émotionnelle ou physique, par exemple – mon père ne s’est pas préoccupé de veiller à ce que je m’acquitte du Code Alpha. J’ai été chanceux au rayon des pères. Il m’a laissé être moi-même et m’a aimé tel que j’étais. Mais cela ne veut pas dire que je n’ai jamais enregistré le Code Alpha. Il m’a suffi de sortir de la maison. Je me souviens encore de certaines des humiliations traumatisantes qui m’ont imprégné de ce programme. Et je me souviens encore de certaines des méchancetés que j’ai faites aux autres quand la panique du Code Alpha s’est déclenchée en moi.
Mais vers la fin de ma vingtaine, il s’est produit quelque chose qui a changé mon regard sur le Code Alpha que j’avais appris en grandissant.
J’ai pris conscience des agressions et des viols que d’autres commettaient pour satisfaire leur code Alpha, pour que ce récit devienne vrai, soit ressenti comme vrai, pour qu’il soit perçu par les autres et par eux-mêmes comme un fait sur ce qu’ils étaient réellement : de vrais hommes, et non des moins que rien. J’ai alors compris que l’agression sexuelle raconte ce récit sans équivoque, incontestablement, de chair à chair, de vainqueur à victime. Rien de flou ou de vague là-dedans. Le récit devient incarné. L’identité est affirmée et défendue de manière décisive et définitive. Fin du récit.
Sauf que, bien sûr, le récit ne se termine pas là. La croyance en un système identitaire exclusionnaire persiste, exigeant que le récit du Code Alpha soit répliqué, encore et encore, réclamant et mutilant vie après vie.
Prendre conscience de tout ce mal m’a profondément troublé. Je connaissais parfaitement le récit qui était raconté. Je le reconnaissais. Je savais que moi aussi j’avais voulu l’actualiser – non pas par la violence physique ou l’agression sexuelle, mais par d’autres moyens (et il existe beaucoup d’autres moyens de le faire). Pour la première fois, j’ai réalisé que je ne voulais pas que ce récit soit le mien. Je ne voulais pas de l’impression que je n’avais pas d’autre choix que de continuer à raconter ce récit. Mais je ne savais pas comment m’arrêter.
Si vous regardez autour de vous les personnes que vous pensez être porteuses du Code Alpha, peut-être voudrez-vous savoir s’il est en fonction chez elles. Vous ne pouvez pas simplement poser la question ; vous devez observer comment ils agissent lorsque leur identité de vrai homme est remise en question ou défiée. Ils s’énervent. Ou ils boudent. Ou ils se mettent en colère. Ou ils deviennent violents. Ils ripostent et se déchaînent. Lorsque le Code Alpha fonctionne – même s’il ne le fait qu’en arrière-plan – sa réponse est souvent une contre-attaque rapide. En un instant, il obligera l’homme à faire quoi que ce soit qui lui permettra de ne pas devenir un moins que rien. Et tous ces instants s’additionnent.
Vous ne pouvez rien dire du code Alpha d’une personne à partir de ses vêtements, de sa silhouette, de sa pilosité faciale, de sa tonalité de voix ou de tout autre élément de son apparence. Même si certaines apparences sexuées peuvent sembler correspondre à un code Alpha actif, il vous est impossible de prédire si le programme est en fonction ou non. Ce n’est que si et quand est déclenchée la réaction à une menace à l’identité de vrai homme de quelqu’un – et qu’il contre-attaque ou non – que vous pouvez savoir avec certitude s’il est incapable de débrancher son Code Alpha ou s’il peut ignorer une menace à sa soi-disant virilité – menace qui devient vide de sens si son code Alpha est hors fonction. Soit un défi à la virilité réelle d’une personne est une crise identitaire exigeant une contre-attaque immédiate, soit un tel défi fait long feu.
Beaucoup de bonnes personnes bien intentionnées ont essayé très consciencieusement de raconter différemment le récit du Code Alpha. Elles ont essayé de le modifier, de l’affiner, de conter ce récit de manière à pouvoir s’y reconnaître, à conserver l’impression d’être de vrais hommes au plus profond d’eux-mêmes, à donner l’impression, à eux-mêmes et aux autres, d’être réellement de vrais hommes – mais pas en blessant, en rabaissant, en harcelant, en insultant, en ridiculisant, en intimidant, en appauvrissant, en agressant sexuellement, en discriminant ou en tuant quelqu’un. Vous voyez le tableau. Ils voulaient donner l’impression d’être quelqu’un de bien, de sensible et d’éthique, qui se trouvait aussi être un vrai homme.
Mais l’on ne peut compter sur ces notions nouvelles et améliorées de la virilité pour apaiser l’anxiété que la culpabilisation traumatique a inscrite dans notre système nerveux, gravée dans notre cerveau et qui peut être déclenchée à tout moment dans une éruption de haine ou de rage. Pour extraire votre identité de l’ignominie il faut que quelqu’un d’autre paie. Vous connaissez ces moments ou des gentils se révèlent être pas si gentils? C’est encore le récit du Code Alpha qui s’exprime.
Je vois le Code Alpha comme une théorie unitaire expliquant l’oppression humaine. Je pense aussi que le récit du Code Alpha ne pourra jamais cesser d’être raconté de façon destructrice et qu’il nous faut l’abandonner complètement. Ce récit n’existe que pour maintenir la hiérarchie sexuelle binaire, afin que la classe sexuelle masculine existe et que la classe raciale blanche existe. Nous devons détruire le Code Alpha et le mettre hors d’état de nuire, non seulement parce qu’il cause tant de dommages à l’humanité, mais aussi parce qu’il est mensonger. Le système d’identité binaire dans lequel il fonctionne est lui-même un récit inventé. La binarité sexuelle est de la frime. Notre espèce n’est pas constituée uniquement de deux sexes; elle est multisexes, ce qui signifie qu’il y a autant de sexes que de personnes. La croyance en la binarité des sexes n’a rien à voir avec l’inspection de l’entre-jambes des nouveau-nés ni avec la biologie. Il s’agit d’un système de classe sociopolitique qui hiérarchise, qui se transmet culturellement et qui se maintient grâce à une panique identitaire collective générée par un récit simpliste, ce récit du Code Alpha que des milliards de personnes ont apprise à bien raconter, sous peine de sanctions. Le pire récit jamais raconté.
Si vous n’êtes pas un vrai homme, vous n’êtes moins que rien.
Pour ne pas être moins que rien, traitez quelqu’un d’autre comme moins que rien.
Nous devons dépasser la binarité, vivre nos vies en dehors de ce schéma, et élever nos enfants sans les voir piégés par lui. Cela signifie que nous devons cesser de contrôler l’expression de genre des personnes. Les vêtements que porte quelqu’un ne sont pas pertinents. Ce qui compte, c’est la façon dont une personne agit envers les autres – son éthique, pas son esthétique.
Nous devons raconter un tout autre récit. Un récit sur la multiplicité et l’individualité. Un récit sur la communauté et la conscience. Un récit sur le fait que personne n’est personne et que tout le monde est quelqu’un. Un récit sur le fait d’être un vrai être humain.
Pour être un vrai être humain, on doit traiter les autres de manière aussi réelle et humaine que l’on se traite soi-même.
John Stoltenberg, militant de longue date contre la violence sexuelle et philosophe féministe radical du genre, est l’auteur de Refuser d’Être un Homme : Essais sur le Sexe et la Justice, un examen radical de l’identité sexuelle masculine, et Peut-on être homme sans faire le mâle?, un guide pratique de la vie d’un homme de conscience. John est également l’auteur de nombreux articles et essais parus dans des anthologies, dont « How Power Makes Men : The Grammar of Gender Identity », dans Men and Power, « Having Sex Outside the Box » dans Male Lust, « Healing From Manhood : A Radical Meditation on the Movement from Gender Identity to Moral Identity » dans Feminism and Men, et « Top Ten Ways the Campus Movement Against Sexual Violence Is Misunderstood » dans Just Sex : Students Rewrite the Rules on Sex, Violence, Equality & Activism. Il a conçu et dirigé la campagne médiatique acclamée de prévention du viol « My Strength Is Not for Hurting ». Parmi ses nombreux essais en ligne, citons « Why Talking About ‘Healthy Masculinity’ Is Like Talking About ‘Healthy Cancer’ », « Sexual Harassment and #MenToo : The Five Stages of Belief », et « 50 Years of Gender Bending and Sex Changing ». Avec la féministe trans Cristan Williams, il contribue à The Conversations Project sur des sujets de féminisme radical inclusif. Il est également romancier (GONERZ), dramaturge, consultant en communication et critique de théâtre. Il vit à Washington, DC, et tweete sous l’étiquette @JohnStoltenberg.
Version originale : https://johnstoltenberg.medium.com/why-human-oppression-happens-5c642733415e
Traduit par Ana Minski pour TRADFEM. Tous droits réservés à John Stoltenberg.