Illustration de couverture : Ana Minski

Je me suis entretenue avec Charles Macdonald, anthropologue ayant séjourné à plusieurs reprises chez les Palawan, un groupe d’essarteurs semi-forestiers du Sud des Philippines.. Il est l’auteur de l’essai L’ordre contre l’harmonie, anthropologie de l’anarchie, aux Éditions Petra.

Ana Minski : Pour répondre au dilemme que posent la diversité culturelle d’Homo sapiens, l’unité de l’espèce et le désir d’une éthique universelle, vous faites appel à la biologie et au concept de nature humaine. Vous écrivez « L’homme a une nature. Cette nature est complexe et contradictoire. Elle oscille constamment entre le chaos, l’ordre et l’harmonie. » Pouvez-vous nous expliquer comment renouer avec le concept de nature humaine a été nécessaire pour conceptualiser les deux modalités de vie collective que vous analysez dans votre essai ?

Charles Macdonald : Oui, recourir aux sciences naturelles qui examinent des déterminismes de base de la vie évolutive est nécessaire pour ne pas tomber dans un culturalisme radical et excessif. On pourrait remplacer « nature » par « cerveau » ou « système nerveux central » qui sont des systèmes biologiques à partir desquels se développent des réflexes culturels et sociaux. Ces systèmes sont extrêmement complexes et sans doute aléatoires ce qui rend les signaux produits complexes, aléatoires, contradictoires. Ceux-ci relèvent de leur soubassement neurologiques et physiologiques. L’importance primordiale de la famille nucléaire, par exemple, est tout autant une question de nature que de culture. En opposant la modalité « grégaire » à la modalité « sociale » j’oppose deux systèmes de vie collective qui renvoient chacun à des propriétés innées de l’humain, dont l’autonomie (la capacité de choix) et la dépendance à l’autre, la grégarité. La coopération en elle-même est un fait biologique inhérent à la grégarité de l’espèce. On pourrait imaginer une espèce différente qui se reproduise par parthénogenèse ou qui vit solitaire avec une fécondation extra-utérine mais ce n’est pas le cas. Nous sommes en grande partie défini(e)s par la sexualité, la fécondation intra-utérine et de celles-ci découlent des déterminations contradictoires et complexes et une turbulence qui engagent le collectif. Toutes ces déterminations ou conditions de base de la vie humaine je les ai appelées ailleurs des « axiomes ». Je pense sincèrement, comme d’autres anthropologues (dont Tim Ingold) que le domaine des sciences sociales et celui des sciences de la vie ne forment qu’un seul domaine.

A.M. : Vous précisez que la société, en tant que corporation, est possible parce qu’elle est une entité abstraite transcendante. Une fiction à laquelle croient les individus et pour laquelle ils sont prêts à partir en guerre. Cette transcendance aliène les individus qui ne sont plus autonomes, libres de partir s’ils le souhaitent, de décider véritablement par eux-mêmes. Ils sont possédés par cette entité à laquelle ils sont liés par des liens forts.

C.M. : Oui j’appelle cela le « transcendantisme ». Là encore il s’agit d’un processus mental très profond et je pense universel mais qui est mis à profit par les organisations sociales et hiérarchiques pour valider une structure qui exige la soumission à des chefs, maîtres, souverains, etc. Le sacré est une fiction transcendantiste.

A.M. : Vous distinguez des liens forts, qui sont propres à toute corporation, à des liens faibles, à l’immanence des relations interpersonnelles. Comment ces derniers participent au maintien de relations égalitaires.

C.M. : Les liens faibles sont sujets à des dérives inégalitaires. C’est le fait d’entretenir ces liens dans un esprit d’égalité, en corrigeant ces dérives, par le moyen de la convivialité, du partage, de l’entraide, de l’humour, de l’affection, du souci de l’autre, d’une éthique, que ces liens restent égalitaires. L’égalité est toujours en construction.

A.M. : Dans nos sociétés actuelles, les liens faibles sont privilégiés pour le développement des communications, propagandes, publicités. Alors que, dans les entreprises, une illusion de liens forts est artificiellement créée pour justifier l’exploitation salariale et la hiérarchie. Comment, dans les groupes anarcho-grégaires que vous avez étudiés, ces liens forts ou faibles s’articulent-ils aux oppositions que vous analysez entre réciprocité et partage, transcendance et immanence, individu et collectivité ?

C.M. : Chez les Palawan que j’ai étudiés de plus près très longtemps, la communauté est faite de liens « familiaristes » c’est-à-dire à la fois familiaux et familiers (les deux se confondent au final). Au niveau du groupe local, c’est le partage qui domine, au niveau des familles entre elles c’est plutôt la réciprocité (mais tout dépend ici de ce qui est partagé ou échangé ou donné  ou prêté : riz, légumes, gros gibier, argent, bien précieux, animaux domestiques…) dans la famille nucléaire c’est encore le partage. Le partage reste le « contrat social » dominant. Il est de nature synthétique à l’inverse du don et contrairement à ce qu’écrivait Lévi-Strauss. Les liens sont toujours immanents c’est-à-dire ne résultent pas d’une quelconque notion de « sacré » (interdit, supérieur, transcendant, dominant, souverain, etc.). Même avec les esprits et les démons les liens sont immanents. Le collectif est le résultat d’un enchevêtrement de liens faibles et non d’un organigramme fixe comme c’est le cas dans une entreprise ou une bureaucratie. Tout est horizontal et réticulaire. D’où l’aspect flou et mouvant des communautés locales et familiales. L’individu est enserré dans des réseaux de liens toujours tendanciellement asymétriques. L’asymétrie est une composante fondamentale de la vie collective palawan. Mais l’asymétrie n’est pas de la hiérarchie. L’autorité n’est pas le pouvoir. Cette distinction fondamentale, les sciences sociales ne l’ont pas vraiment comprise. Le paradoxe de l’égalité c’est qu’elle repose sur l’asymétrie.

A.M. : Descola qualifie notre cosmologie occidentale moderne de « naturaliste ». Elle serait à l’origine du partage idéologique nature/culture, né du concept de nature dont l’avènement se situerait autour du XVIe siècle. D’après lui, l’idée de nature serait à l’origine de la domination de l’homme sur cette dernière. Il va jusqu’à affirmer que la nature n’existe pas. Cette analyse s’oppose à la vision marxiste de l’histoire qui postule la primauté des structures sur l’esprit. Dans votre livre l’opposition société et grégarité se distingue parce qu’elles sont des « univers moraux » différents. Les ontologies définies par Descola et les deux « univers moraux » que vous décrivez présentent-ils des ressemblances ?

C.M. : J’ai du mal à répondre à cette question. Je pense que la recherche de Descola et la mienne se croisent quelque part mais je ne sais pas encore où exactement. Nous n’utilisons pas le concept d’ontologie de la même manière. En fait bien sûr la domination de l’homme sur la nature est d’abord affirmée dans l’ancien Testament. Or si on peut s’approprier la nature on peut s’approprier l’homme en le réduisant idéologiquement à l’état de nature (l’ennemi est une bête, le Juif un parasite, l’esclave n’a pas d’âme, le Noir est proche du singe, etc.). Une conception égalitaire du social s’attacherait à voir dans les rapports entre animaux et hommes un rapport d’équivalence et non de subordination.

A.M. : La domestication des mammifères (bovins, équidés, etc.) a modifié l’imaginaire, l’iconographie change après la domestication.  J’en parle un peu dans l’itw avec Stepanoff. Quel est votre avis sur cette technique de subsistance ?

C.M. : L’élevage change la donne complètement, c’est certain. Le chien, animal le plus anciennement domestiqué, s’est complètement intégré à la famille humaine car le loup, son ancêtre direct, vit en familles (meutes) comparables à la famille humaine. L’élevage d’animaux comme les équidés, bovidés, camélidés, etc. transforme la société dans son ensemble. Enfin, vaste sujet dont je ne suis pas spécialiste du tout….

A.M. : Ce qui me dérange chez Descola, c’est qu’il va jusqu’à affirmer que nous ne devrions plus parler de nature, je pense au contraire qu’il est important de garder la notion de nature, extérieure à l’homme. Le problème étant son objectivation et non le fait de la percevoir comme une altérité. D’autant plus que c’est elle que nous détruisons. Ne plus nommer ce qui échappe à l’artificialisation du monde me semble dangereux. Quel rapport les Palawan, par exemple, ont-ils avec la nature ?

C.M. : Définir le rapport des Palawan à leur environnement non humain demanderait une très longue explication. Il y a une multiplicité de représentations dont il n’est pas facile de faire la synthèse. Ce qu’il faut dire d’abord c’est que les Palawan, en tout cas les groupes des hautes terres, plus traditionnels, ont une double vision de leur environnement naturel: une vision de chasseurs-cueilleurs et une vision d’agriculteurs. La première est centrée sur les animaux sauvages, la forêt, les cours d’eau, la mer, la seconde sur les plantes cultivées, les animaux domestiques, les cycles saisonniers.

Ils ont des connaissances très précises sur l’univers végétal qui est le plus important pour eux. Ils ont de bonnes connaissances astronomiques, zoologiques, ichtyologiques (pour les groupes du littoral), entomologiques ; ils classent et nomment toute forme de vie végétale et animale. Leur rapport aux animaux est un rapport ambivalent de prédation mais aussi de dépendance. Ils ont dans ce sens une vision pragmatique et utilitaire de leur environnement.

 Dans un autre registre, les Palawan sont des gens très musicaux et ils imitent les bruits du vent, les chants des oiseaux, les  grincements des branches, dans des mélodies jouées sur le grand luth à deux cordes. Ils sont fascinés par les oiseaux, leur vol et leurs chants. Ils possèdent un sens esthétique surtout musical de leur entourage naturel. 

Certaines espèces entrent dans leur vision du monde invisible comme les poulets qui jouent le rôle de doubles ou d’âmes (de doubles, de principes vitaux) La notion d’âme se traduit d’ailleurs par l’existence de certains insectes ou animaux (comme l’âme sanglier, l’âme pou, etc.) l’âme  ou le principe vital a ainsi une réalité  matérielle. Mais il faudrait dire les âmes car toute personne a plusieurs âmes qui ont ainsi une réalité matérielle extérieure. Les abeilles jouent un rôle considérable dans certaines régions.  On dit qu’enivrés par l’hydromel les hommes se transformaient en abeilles. Il faudrait aussi parler de forces chthoniennes et de l’existence d’un grand dragon ou naga qui punit les hommes en cas d’inceste. On retrouve le “naga”, dragon, monstre chtonien et aquatique dans les mythologies d’Asie du Sud-Est et que les Palawan nomment « tandayag ».

L’espace non cultivé est aussi habité par des personnes invisibles qui peuvent être dangereuses mais avec lesquelles on peut composer. Mais la forêt n’est pas un lieu dangereux (il n’y pas de grand prédateur), l’humain et le non-humain se côtoient dans un rapport de sociabilité et d’altérité négociable, dans un univers moral commun. 

A.M. : Pour reprendre les termes d’Hannah Arendt, certaines techniques obligent les hommes à sacrifier « leur appartenance-au-monde ». Elle accorde à ce titre une place importante à l’invention du télescope. Pouvez-vous identifier des techniques qui vous semblent participer à la mise en place de sociétés hiérarchiques ? La chasse au grand gibier en macrobande, les armes de jet, par exemple ?

C.M. : La grande chasse, les armes de jet et la présence « groupes d’intérêt fraternels » favorisent un état de violence mais celle-ci, je pense, est plutôt une sorte de paramètre flottant. L’égalitarisme et la violence – même avec des armes puissantes – peuvent faire bon ménage. D’une façon générale aucune technique ne détermine en elle-même un changement social. L’agriculture n’a pas été cause de l’existence de l’État mais celui-ci a utilisé l’agriculture pour se développer. La technique qui est la plus utile à la hiérarchie est la manipulation idéologique.

A.M. : Vous avez également étudié le chamanisme. Charles Stepanoff a mis en lumière l’importance de techniques chamaniques qui pourraient expliquer l’apparition des hiérarchies. Dans l’opposition que vous faites entre immanence et transcendance, le chamanisme ne serait-il pas une technique privilégiant la transcendance, le chamane quittant son corps pour voyager dans le monde des esprits ? N’est-il pas un danger pour l’égalité ? Je pense notamment aux Inuit iglulik chez lesquels a été reconnu le rôle prédominant des chamanes, notamment lors de la redistribution masculine des femmes pendant les fêtes collectives hivernales.

C.M. : Les Palawan ne donnent aucun pouvoir au chamane des Hautes Terres, celui dont la pratique est caractérisée par le voyage dans l’au-delà. Sa rencontre avec les esprits ne lui confère aucune autorité sociale. Pas mal de cultures égalitaires font des plus misérables voire méprisés d’entre eux des grands prêtres (Toda, Jarai). Là encore il faudra distinguer l’autorité spécialisée, qui découle d’une aptitude particulière, d’un côté, du pouvoir et du commandement, de l’autre. Je me méfie du recours au chamanisme par les anthropologues qui veulent à tout prix remettre de l’ordre politique là où il n’y en a pas.

A.M. : Vous précisez dans l’introduction que l’analyse anthropologique anarchiste que vous développez n’est pas le fruit d’une conviction politique ou idéologique, mais d’une démarche ethnologique et réflexive. Vous avez séjourné chez Les Palawan, dans quelle mesure ces séjours ont-ils participé à l’analyse que vous développez dans votre essai ?

C.M. : Bien entendu, l’ethnographie des Palawan a été déterminante mais si j’avais découvert au départ certains éléments qui contredisaient la théorie générale, je ne savais pas trop quoi en faire. Il a fallu que je trouve dans la littérature anthropologique, celle notamment concernant les chasseurs-cueilleurs (Les Palawan des Hautes Terres sont en quelque sorte des chasseurs-cueilleurs qui pratiquent l’agriculture) ainsi que dans une réflexion très personnelle, basée sur une expérience de vie, mais pas d’influence directement anarchiste, les matériaux d’une construction théorique. Je ne me considère pas comme un « anthropologue anarchiste », mais comme un anthropologue d’un côté et comme un anarchiste (au moins philosophique) de l’autre. Cela dit, je crois que les anarchistes ont compris quelque chose de fondamental que les sciences sociales n’ont pas voulu voir.

A.M. : Vous démontrez que l’égalité ne va pas de soi, qu’elle n’est pas naturelle mais qu’elle découle d’un principe moral. Les deux modes d’organisation que vous décrivez sont le fruit d’une dichotomie fondamentale entre ces deux principes moraux (égalité et hiérarchie). N’est-ce pas tout l’enjeu des collectivités humaines que de se fonder sur des compromis instables entre transcendance et immanence, collectivité et individu ?

C.M. : Tout à fait. Entre personne abstraite (le citoyen, le sujet de droit) et personne concrète.

A.M. : Pensez-vous que nos démocraties actuelles peuvent participer à l’avènement de collectifs plus égalitaires ?

C.M. : J’ai défini les démocraties comme des laboratoires d’une société future, donc je pense que oui.

A.M. : La taille d’un groupe est-elle importante au maintien de l’égalité ?

C.M. : Mon raisonnement est un peu simpliste peut-être mais dans la mesure où seule la contrainte permet pour le moment de faire coopérer des millions d’hommes, avec des liens forts, tandis qu’on n’arrive pas à mettre d’accord une douzaine de personnes qui sont libres de cesser de coopérer à tout moment, alors je pense que l’élément démographique est essentiel. Sur une simple mesure qui est actuellement la vaccination contre le Covid, regardez ce qui se passe. Sur trois formes de prise de décision démocratique, le vote à la majorité, le consensus et l’unanimité laquelle a le plus de chance de marcher avec des groupes petits, grands et très grands ?

A.M. : Les exemples de mouvements communautaires post-catastrophiques sur lesquels vous vous appuyez sont très parlants. Les populations montrent une capacité à déployer des actes de coopération et d’entraide que les institutions étatiques ne cessent de brider, voire anéantir. Tout cela me fait penser au mouvement des Gilets Jaunes. Par chez moi, une solidarité joyeuse s’est très rapidement mise en place. La maison du peuple partageait la nourriture donnée par certaines enseignes ou récupérée dans les poubelles des supermarchés, des liens se sont créés entre différents corps de métiers, maraîchers, charpentiers, ouvriers, assistante sociale, infirmière, chômeurs. De la volonté d’organisations en étoile de mer. Cela ressemblait fort aux zones d’autonomie temporaires dont vous parlez.

C.M. : J’avais envoyé un billet au journal Le Monde dont voici un extrait :

Les Gilets Jaunes sont-ils des anarchistes ?

Un grand nombre d’opinions ont été émises par les politologues, sociologues, historiens et autres sur la nature du mouvement des Gilets Jaunes (GJ). Ce mouvement déconcerte. On ne trouve pas le modèle qui le définirait le mieux. Jacquerie, Mai 68, résurgence des grandes grèves du passé, Nuits Debout, Prise de la Bastille ? Les –ismes (poujadisme, nationalisme, extrémisme de droite ou de gauche, réformisme, fascisme, antifascisme) ne conviennent pas vraiment. Il y a un déficit de vocabulaire. Les intellectuels s’affairent. Mais, dans cette fébrilité conceptuelle, un mot n’est presque jamais prononcé, celui d’anarchisme. Pourquoi ?

 […]

A-t-on oublié que le terme « anarchie » signifie simplement « sans chef » ? Les GJ sont-ils sans chefs ? Incontestablement. Des représentants ou porte-parole plus ou moins auto-désignés sont apparus, pour disparaître aussitôt. Les GJ sont-ils encadrés par des partis ou des syndicats ? Évidemment non. Reçoivent-ils des ordres d’une autorité supérieure ? Aucunement. Ils sont donc anarchistes au sens étymologique, simple, primaire du terme. Pourquoi ne pas prononcer ce mot ? Pour des raisons évidentes. Les anarchistes, dans la pensée politique et académique ambiante signifie « casseurs », « voyous » « nihilistes ». Anarchisme signifie, pour la quasi-totalité de nos intellectuels dument formatés, chaos et destruction. Ce sens n’est pas le bon.

[…]

Les GJ ont surgi de l’indifférenciation, de leur condition d’inférieurs, de leur statut de sujets abstraits et invisibles du tout social. Ils sont devenus des sujets concrets, vivants, et non plus des numéros, des catégories statistiques. Ils ne proposent pas d’abord de slogan politique, de dispositif économique, de mesure administrative. Ils disent : je suis pauvre, je suis humilié. Ils racontent leur histoire. Ils sont devant les caméras des personnes à part entière. Ils parlent à la première personne et disent au grand chef : dégage ! Ils protestent contre l’aliénation dont ils sont victimes. Celle du pouvoir, celle de l’existence. Ils sont, en tout cela, sinon anarchistes, en tout cas « anarches », même s’ils sont aussi beaucoup d’autres choses.

[…]

Ce billet fut refusé. Et pourtant l’observation du comportement des Gilets Jaunes sur les ronds-points montrait qu’ils adoptaient, sans le savoir peut-être, toutes les procédures et les démarches des anarchistes. Le mouvement des Gilets Jaunes est incontestablement un mouvement qui relève de la grande mouvance anarchiste et en refuser le terme relève d’une hypocrisie intellectuelle.

A.M. : Pensez-vous que de tels mouvements puissent contrer l’État et son bras armé pour, à terme, créer des communautés plus égalitaires ?

C.M. : Eh oui, il faut essayer et essayer encore, peut-être arrivera-t-on à faire changer les choses par en bas ? Je crois que ce que j’appelle la « mouvance anarchiste » est mondiale et permanente, mais elle reste bien sûr incapable pour le moment de changer complètement la société.

A.M. : Quels sont, selon vous, les points les plus importants auxquels votre recherche a abouti ?

C.M. : Ce qui fait à mes yeux l’intérêt et l’originalité de ma démarche sont :

1. d’avoir montré que l’anarchie était un système et pas l’addition de traits déconnectés : autonomie, égalité, réticularité, liens faibles formant système ;

2. d’avoir montré que le partage était à la fois un principe opposé au don et à l’échange et qu’il était la clé de voûte d’un  système anarchique ;

3. d’avoir avancé l’hypothèse que anarchie et hiérarchie étaient des champs empiriquement et logiquement opposés et contradictoires entre eux mais présents ensemble dans nos sociétés ; 

4. d’avoir postulé que l’harmonie anarchique était un trait « fossile » mais toujours très vivant chez homo sapiens.

Charles Macdonald

Ana Minski

Relecture et corrections : Lola