Illustration de couverture : Koba-T, Armagnac

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Je remercie mon ami Abel pour l’envoie de ce texte très pédagogique sur l’hydrogène, ce nouveau mythe du capitalisme vert…

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Vous avez toujours voulu savoir ce qu’est l’hydrogène, le carburant majeur de nos étoiles (donc de notre Soleil), l’élément le plus abondant sur Terre, celui qui va révolutionner nos modes de vie et sauver la planète en « décarbonant » l’énergie ? Alors sautons tous ensemble dans la prochaine navette Space X pour Mars, propulsée bien entendu par cet élément chimique merveilleux. Décollage imminent : 3, 2, 1… Attendez, Houston, je crois qu’on a un problème ! Explications.


L’hydrogène, quèsaco ?

Depuis quelques mois, l’hydrogène intéresse particulièrement nos gouvernants, industriels et autres start-up innovantes comme une « alternative aux énergies carbonées ». En effet, sur le papier, la combustion de l’hydrogène (en réalité du dihydrogène, H2) par association avec de l’oxygène ne produit que de l’eau et de la chaleur. Comme aucun atome de carbone n’apparaît dans cette combustion, et donc que celle-ci est sans rejet de CO2, son utilisation semble tout à fait opportune pour la « décarbonation de l’énergie ».

Une petite pause s’impose ici sur le lexique de la novlangue écolo, car il nous paraît important de pouvoir « penser » cette idée de « décarbonation » de l’énergie. Elle vient de la manière de considérer la crise écologique. Si l’on considère que le problème de premier ordre, c’est le climat, et que son principal déstabilisateur est le taux d’émission de CO2… alors on ne pense qu’à limiter cette émission, sans considérer ou chercher à stopper l’ensemble des destructions directes ou indirectes du monde dues aux activités industrielles. Les gestionnaires de ce monde nous font ainsi croire qu’ils vont sauver l’habitabilité de la planète en passant d’un système basé sur les énergies fossiles à un système de production électrique décarbonée reposant sur l’énergie nucléaire et sur les énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien). En réalité, si ces énergies n’émettent pas directement de carbone par leur fonctionnement, elles reposent sur toute l’industrie du pétrole qui, de la conception au transport en passant par la fabrication (qu’on pense au béton des centrales, ou à la résine des pales d’éoliennes…), est toujours basée sur le productivisme et l’extractivisme. Bref, elles sont aussi « carbonées » qu’une chaudière à charbon… mais ça se voit moins. Les puissants (dont Emmanuel Macron) nous assurent pourtant que l’hydrogène sous forme de vecteur (relier la production à la consommation) va pouvoir stocker toute cette fée électricité décarboné (parfois « verte ») et résoudre en partie notre problème de dérèglement climatique. Décarbonons, découplons la croissance du PIB de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 et avançons vers une nouvelle France hydrogène, nous serinent-ils !

Plan France 2030 et « hydrogène vert »

Parmi les 10 objectifs du plan France 2030 présenté par Macron le 12 octobre dernier, l’objectif numéro 2 est que la France devienne le leader de l’hydrogène vert. Notre territoire doit pouvoir compter sur au moins deux « gigafactories » d’électrolyseurs qui produiront massivement de l’hydrogène et l’ensemble des technologies utiles à son utilisation. L’hydrogène a en effet le désavantage de n’être qu’un vecteur énergétique. Il faut le produire avant de l’utiliser car il existe très peu de gisements d’hydrogène naturel dans le sous-sol et il est très difficile à capter.

Mais, en France, le secteur de la production électrique se frotte les mains de cette limite et en tire un avantage. En effet, la production actuelle d’hydrogène dans le monde est fortement et directement « carbonée » : il est produit à partir du gaz à 49 %, du raffinage du pétrole à 29 %, du charbon à 18 % et seulement à 4 % à partir de l’électrolyse de l’eau. Or le nucléaire associé à l’électricité « verte » fournie par les énergies « renouvelables » (éolien et photovoltaïque) permet d’en produire du « décarboné »… et le premier atout de la France, c’est bien sûr le nucléaire. L’hydrogène devient de ce fait un nouveau marché dont la croissance forte demande le développement de nouvelles centrales nucléaires, d’éoliennes industrielles off shore et on shore et de panneaux photovoltaïques. On n’avait pas vu cela depuis… la découverte du pétrole ! En plus, d’après la Bank of America, le marché de l’hydrogène atteindrait 11 000 milliards de dollars en 2050, soit l’équivalent du montant de l’évasion fiscale des Pandora Papers. Ce nouveau marché repose donc essentiellement, en France, sur le développement du nucléaire, et le valide idéologiquement notamment sur le besoin des EPR pour produire l’hydrogène massivement. Il nécessite de nouvelles infrastructures dédiées (usines de production d’électrolyseurs et de piles à combustible, stockage hyperbare, station hydrogène…) et relance par là la production.

Au niveau des applications, l’hydrogène peut être utilisé dans les transports ou pour éclairer et chauffer des bâtiments, et il est actuellement utilisé surtout dans les procédés industriels tels que la métallurgie ou la production d’ammoniac et de méthanol.

Usine chimique pour la production d’ammoniac

La recherche, les acteurs industriels (Air Liquide, Engie, Total Energies, Bouygues, GRTgaz, EDF, Michelin, Vinci…) et les start-up innovantes vont pouvoir développer l’offre industrielle de l’hydrogène notamment grâce aux 7 milliards d’euros d’argent public versés en septembre 2020 en s’appuyant sur le nucléaire et les énergies renouvelables.

Le capitalisme vert sauvera donc le climat ?

Si l’on reste dans l’idée que, pour « sauver le climat », il faut « diminuer les émissions de CO2 », cela nécessite un découplage absolu entre la croissance du PIB et la consommation d’énergie et de ressources minières (toutes deux productrices de CO2, quoi qu’en disent les ayatollahs de la décarbonation). Or ce découplage ne s’est jamais produit dans l’histoire de notre civilisation industrielle : malgré l’augmentation des performances des systèmes énergétiques, des moyens d’extraction et de production, la consommation d’énergie et de ressources minières n’a jamais diminué tandis que le PIB continuait d’augmenter. Par exemple, dans le domaine de l’hydrogène, les technologies actuelles et de piles à combustible utilisent des matériaux principalement nobles (platine, palladium, ruthénium) qui ont donc un coût économique (production, travail) et environnemental élevé (extractivisme). Et une étude récente de l’Ademe que la fabrication d’un véhicule hydrogène nécessite deux fois plus de ressources minérales qu’un véhicule thermique classique et que son transport (si l’hydrogène n’est pas consommé sur le site de production) consomme de l’énergie non renouvelable actuellement. A décarboner l’énergie, on risque de faire des mines à ciel ouvert de plus en plus larges et profondes et d’asseoir un peu plus la domination et l’exploitation … Ces impacts de l’extractivisme et du productivisme existent toujours aussi bien pour l’hydrogène que pour le nucléaire et les énergies renouvelables industrielles.

Présenter l’hydrogène comme une solution énergétique « verte » et « décarbonée » permet ainsi aux gouvernants de maintenir un système destructeur tout en lui redorant le blason : ils détruiront donc la planète en promettant de la sauver. Joli exercice de schizophrénie. Prétendre guérir un symptôme (le dérèglement climatique) par le même système qui engendre la maladie, par la destruction du vivant et l’exploitation du travail humain, c’est immoral ou tout au moins délirant. Encourager le développement de l’hydrogène, et ainsi celui du nucléaire et des énergies renouvelables industrielles, c’est finalement encourager l’exploitation de tout, et de tout le monde. Le progrès, si cher à nos lumières de dirigeants ne devrait pas être d’augmenter la domination de quelques-uns sur tout le vivant à l’aide d’une nouvelle brique technologique, mais d’amener chacune et chacun à pouvoir autogérer son autonomie. Luttons donc contre l’avidité de quelques-uns et contre le système dominant pour que chaque communauté définisse collectivement ses besoins et s’organise, vive, produise, échange, décide de manière directe sans domination et exploitation des humains et du vivant.

Dans un monde où les plus riches achètent des voyages dans l’espace, tout en remerciant les ouvriers de leur permettre de voir la « fragilité » de la planète Terre, il serait temps, plutôt que de lancer des fusées à hydrogène, d’alerter Houston qu’effectivement le problème vient du système techno-industriel capitaliste, et non de donner l’illusion de le peindre en vert pour sauver non pas la planète mais ce système.

Abel, pour un groupe d’écologistes radicaux