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Le documentaire L’uranium de la colère de Martin Boudot, diffusé le 7 mars 2022 sur France 5, retrace le parcours de l’uranium depuis la mine d’Arlit, au Niger, jusqu’à l’usine de conversion d’Orano Malvési à Narbonne. L’impact humain et environnemental est considérable. Bref aperçu de l’exploitation de l’uranium et de ses conséquences.
“Pour aller jusqu’à cette tombe, prenez un canoë. Traversez l’étendue de soleil dispersé. Buvez l’interminable mer tourbillonnante. Avalez le lagon radioactif. Nul besoin de fleurs, ni de discours. Sur cette tombe, il n’y a pas de pierres blanches à semer, ni aucune chanson à chanter.”
Anointed de Kathy Jetñil-Kijiner.
L’uranium est indispensable à la fabrication du combustible nucléaire.
Son extraction contamine les sols, l’atmosphère, les corps, les habitats du Limousin[1]1https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/le-limousin-contamine-apres-50-ans-d-exploitation-de-l-uranium-2081218.html jusqu’au Niger[2]2https://www.france.tv/france-5/vert-de-rage/vert-de-rage-saison-2/3115803-l-uranium-de-la-colere.html
Jusqu’à la fermeture de la mine souterraine de la Cogéma à Jouac/Le Bernardan, en Haute-Vienne, 210 mines d’uranium ont été exploitées en France de 1945 à 2001. Le Limousin, le Forez, la Vendée, la Lozère et l’Hérault sont les régions principalement concernées[3]3https://www.criirad.org/actualites/uraniumfrance/Synthese_PDF/francais.pdf.
Pour extraire l’uranium, il faut raser des forêts, détruire des bocages pour les bâtiments industriels et les cités ouvrières[4]4https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/quand-lecarpiere-etait-une-mine-duranium-2546433. L’exploitation des mines à ciel ouvert ou souterraines laisse toujours derrière elle des sous-produits nocifs. La proportion de métal présente dans le minerai étant extrêmement faible (1 à 5 kg d’uranium par tonne de minerais), la masse des résidus correspond toujours à plusieurs millions de tonnes.
En Vendée, l’ancienne division minière s’étendait sur quatre départements – Loire Atlantique, Maine et Loire, Vendée et Deux Sèvres – et comportait plus d’une quarantaine de mines d’uranium réparties sur 4 concessions : Clisson, Evrunes, Les Herbiers et Mallièvre. Toute la production était acheminée pour traitement à l’usine de l’Ecarpière qui a été exploitée jusqu’en 1990 par la Compagnie générale des matières atomiques (Cogéma) :
« Le site de l’Ecarpière s’étendait sur environ 3,5 km le long de la Moine. Il se composait de mines souterraines avec trois puits : P1, P2 et P3 (près du village de Hautegente), et de nombreuses galeries et descenderies, dont la profondeur maximum variait de 250 m jusqu’à 500 m. L’emprise du site s’étend sur les communes de Gétigné (44) et de Saint-Crespin (49)[5]5https://www.patrimoine.paysdelaloire.fr/linventaire/detail-notices/IA49010583/. »
Il faut concasser, broyer et attaquer à l’acide le minerai pour en récupérer l’uranium. Le concentré uranifère ainsi obtenu est ensuite envoyé, pour être purifié, à l’usine Comurhex de Malvési, sur la commune de Narbonne, dans l’Aude.
Le site de la Commanderie en Vendée, ancienne mine à ciel ouvert, est devenue une bassine qui sert à l’irrigation agricole. Des résidus d’extraction, riches en radium, radon, polonium, thorium 230, très toxiques, y ont été jetés[6]6https://larochesuryon.maville.com/actu/actudet_-l-encombrant-heritage-de-l-uranium-dans-le-bocage-_15-833455_actu.Htm.
Dans le Limousin, l’exploitation de l’uranium a généré 20 millions de tonnes de sous-produits très radioactifs. Des résidus sont stockés sur le site de Lavaugrasse, mais il est impossible d’éviter tout rejet de radioactivité dans les rivières et les nappes phréatiques :
« … la fraction la plus fine des résidus au fond de la mine percole dans les galeries souterraines et contamine les réseaux hydrographiques[7]7https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/uranium-en-limousin-le-dossier-brulant-du-stockage-des-residus-radioactifs-2078068.html » .
Ces mines ont été exploitées par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) créé par Charles de Gaulle en 1945. Le CEA cédera l’exploitation des gisements métropolitains en 1976 à la Cogéma (Compagnie générale des mines) qui deviendra Areva NC puis Orano Cycle. Elles ont produit 72 800 tonnes d’uranium environ.
Le droit minier peut user de l’expropriation et de l’occupation temporaire des terres. Dans le Limousin, certains propriétaires ont été expropriés. L’importance stratégique octroyée à cette industrie est suffisante pour exercer une contrainte légitime au nom de l’intérêt général. À la fin des années 1960, l’emprise foncière de la Division minière est estimée entre 300 et 400 hectares ; à la fin des années 1980, elle est de l’ordre de 1 300 hectares[8]8Brunet, Philippe. « L’environnement concerté et négocié : un demi-siècle d’exploitation industrielle de l’uranium en Limousin », Écologie & politique, … Continue reading.
Quelques mines françaises servent aujourd’hui comme sites d’entreposage des résidus de traitement et des déchets radioactifs importés[9]9https://www.andra.fr/ne-pas-oublier-le-passe.
Pendant plusieurs années, la France a exploité l’uranium du Niger. En 1969, Orano (ex Areva) a installé les infrastructures nécessaires pour l’exploitation d’une mine à Arlit. L’endroit était occupé par des éleveurs et des troupeaux qui ont dû laisser place à la nouvelle ville minière. Sans consulter les populations locales, la compagnie a fracturé les roches avec l’eau de nappes fossiles qui ne sont pas renouvelables. Des tonnes de résidus toxiques d’extraction ont été entreposées à l’extérieur de la mine. Certains endroits de la ville présente une radioactivité plus forte qu’à Tchernobyl. La grande majorité des hommes ayant travaillé dans la mine présentent des problèmes de santé. Plusieurs maisons ont été construites avec des poutres en métal radioactive. 27 anciens ouvriers de la mine ont déposé une plainte contre X. La mine, épuisée, a été fermée le 31 mars 2021.
Actuellement, 44 % de l’uranium provient du Kazakhstan[10]10https://www.world-nuclear.org/information-library/nuclear-fuel-cycle/mining-of-uranium/world-uranium-mining-production.aspx . La France n’est pas indépendante en uranium. Comme le précise Greenpeace, « l’industrie nucléaire française travaille étroitement avec l’industrie nucléaire russe à tous les niveaux de la chaîne du combustible, de l’extraction de l’uranium au traitement des déchets[11]11Des centaines de tonnes d’uranium de retraitement sont vendus à la Russie pour être officiellement « recyclé ». , mais aussi de la construction des centrales à leur exploitation[12]12https://www.greenpeace.fr/le-double-jeu-dangereux-de-lindustrie-nucleaire-francaise/. » Les troubles actuels au Kazakhstan posent donc de sérieux problème quant à l’approvisionnement en uranium[13]13https://www.lefigaro.fr/societes/la-crise-au-kazakhstan-fait-grimper-l-uranium-et-le-petrole-20220107. Les contrats mentionnaient la vente de centaines de tonnes d’uranium de retraitement à la Russie pour être officiellement « recyclé ».
Pour permettre la fusion, l’uranium doit être enrichi. Il est envoyé en France à l’usine Orano Malvési, à côté de Narbonne, puis à l’usine Comurhex de Pierrelatte pour être transformé en gaz[14]14https://www.rfi.fr/fr/environnement/20211023-les-risques-de-l-extraction-et-de-l-enrichissement-de-l-uranium-enjeux-oubli%C3%A9s-du-nucl%C3%A9aire. Près de Malvési, des taux de radiations très élevés ont été enregistrés[15]15https://www.france.tv/france-5/vert-de-rage/vert-de-rage-saison-2/3115803-l-uranium-de-la-colere.html. Dans cette usine de conversion de l’uranium il y a plus de 300 000 m3 d’effluents radioactifs stockés à ciel ouvert. En 2004, une digue qui servait à retenir des déchets solides s’est affaissée et des boues radioactives, qui contenaient de l’uranium et du plutonium, se sont répandues dans la plaine[16]16https://www.rfi.fr/fr/environnement/20211023-les-risques-de-l-extraction-et-de-l-enrichissement-de-l-uranium-enjeux-oubli%C3%A9s-du-nucl%C3%A9aire. La CRII-RAD[17]17Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité, créée en 1986, à Valence. a également constaté que des poussières radioactives sont rejetées dans l’atmosphère, que la nappe phréatique sous le site présente un niveau de radioactivité 138 fois supérieur. En août 2009, plus de 2 tonnes de fluor et d’ammonium se sont écoulés dans le canal de Tauran où la concentration légale de fluor a été largement dépassée pendant plusieurs jours.
Après avoir été utilisé dans les 56 réacteurs nucléaires français, le minerai, une fois refroidi dans des piscines, est transporté jusqu’à la Hague, dans le département de la Manche, pour être conditionné. Chaque année, cette usine rejette « 2 000 tonnes de nitrates directement dans la Manche. Ces substances chimiques sont issues de l’acide nitrique utilisé pour dissoudre les combustibles irradiés et pour séparer le plutonium, l’uranium et les produits de fission[18]18https://reporterre.net/Nitrates-l-usine-nucleaire-de-La-Hague-pollue-plus-qu-une-megaporcherie. » EDF veut agrandir le site en construisant une nouvelle piscine sur une zone d’un hectare et demi.
Ce sont ces déchets que l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets) souhaite enfouir à Bure[19]19https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/11/18/cout-gestion-des-dechets-recherche-huit-questions-autour-de-la-relance-du-nucleaire_6102504_3234.html.
Le démantèlement de ces usines est également titanesque et coûteux. L’usine d’enrichissement EURODIF, implantée sur le site Orano Tricastin, dans la Drôme, est définitivement mise à l’arrêt le 7 juin 2012. Dénommée « usine Georges Besse », en mémoire de celui qui fut son fondateur puis son directeur général, son démantèlement implique le démontage physique, la décontamination des installations et équipements et le conditionnement des déchets. L’usine se compose de quatre bâtiments de production, représentant une superficie de 190 000 m2. Le chantier représente près d’1 milliard d’euros. Ce sont 160 000 tonnes d’acier, 30 000 tonnes d’équipements en divers métaux et plus de 1 300 kilomètres de tuyauterie qui doivent être traités[20]20https://www.sfen.org/rgn/demantelement-usine-enrichissement-eurodif-premiere-mondiale/.
Il est impossible de séparer nucléaire militaire et nucléaire civil. Les deux sont intrinsèquement liés. Pas étonnant donc d’apprendre que les déchets radioactifs recyclés sont utilisés pour l’armement[21]21https://reporterre.net/La-France-soupconnee-d-utiliser-au. L’origine du nucléaire est militaire. c’est une technologie de guerre responsable des catastrophe d’Hiroshima et de Nagasaki : de 220 000 morts et 650 000 personnes gravement affectées par la bombe. Sans oublier toutes les victimes des trop nombreux essais de la bombe.
Le nucléaire est une énergie qui dévore des hectares de terre, contamine les sols, les nappes phréatiques, les océans, les corps des humains et des autres animaux. Mais dans sa démence le capitalisme patriarcal, fasciné par la “destruction créatrice”, considère ces extractions comme un patrimoine digne de l’Humanité.
Ana Minski
References[+]