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Cette recension a été publié sur le site Écologie radicale incivilisée
Dans leur livre Mauvaises Mines, aux éditions de La dernière lettre, Mathieu Brier et Naïké Desquenes partagent le fruit de leurs réflexions sur l’industrie minière, son passif en France et les résistances aux projets actuels.
Ils s’appuient sur les nombreuses synthèses d’enquêtes de terrain réalisées par l’association ISF SysExt (Ingénieur sans frontières des Systèmes extractifs et environnements). Les différents chapitres témoignent de l’appétit vorace des industriels de la mine bien souvent soutenus par l’État…
Le fonctionnement d’une Mine industrielle.
Les premières mines apparaissent au Néolithique pour exploiter les roches dures telles que silex et obsidienne. Comme l’expose Ana Minski dans son essai[1]1Ana Minski, 2022. Sagesses incivilisées, Sous les pavés, la sauvageresse ! M Editeur, p 40. : « Si l’exploitation moderne est bien plus dévastatrice que toutes celles qui lui ont précédé, notamment par les nouvelles machines et techniques d’exploitation des gisements, comme celles dites à déplacement de sommet, l’exploitation des mines a toujours été une technique autoritaire et écocidaire. » (p. 40)
Fonctionnement d’une mine
« Derrière l’idée simple d’aller chercher sous terre du zinc, de l’or ou du cuivre se cache un ambitieux pari : isoler les quelques kilos de matière recherchée de milliers de tonnes de roche arrachés à la croûte terrestre. » p.15
Une mine n’est jamais (souhaitable) soutenable ni durable. Quelles que soient les réglementations mises en place pour réduire leurs impacts, elles sont toujours polluantes.
« La profondeur du gisement, sa géométrie et le budget de l’entreprise sont les principaux facteurs qui détermineront si la mine sera exploitée à ciel ouvert ou en souterrain. » (p.15) Qu’elle soit à ciel ouvert ou souterraine, les étapes pour extraire les minerais restent les mêmes. On commence par « kärchériser la forêt, les animaux qui y vivent et les plantes qui y poussent. » (p.16)
Puis un bal incessant de camions remplis de fioul viennent alimenter les machines qui attaquent et enlèvent la roche recouvrant le gisement. Pour une mine souterraine, l’extraction de roche peut se faire sur plusieurs centaines de mètres sous terre et les dégâts ne seront pas visibles depuis le ciel.
Les stériles ou terrils, qui constituent les roches situées entre le gisement et la surface, pourront parfois être recyclés : « ceux provenant des mines d’uranium[2]2https://lesruminant-e-s.fr/2022/04/06/le-fond-de-lair-est-poussiere-duranium-ana-minski/ exploitées jusqu’en 2001 aux quatre coins du territoire français ont fourni pendant des décennies de la matière pour construire entre autres des routes, des parkings ou encore les terrains de jeux de centres de loisirs » p.16
Cependant, plusieurs associations de riverain-es se battent pour décontaminer ces sites, radioactifs…. [3]3https://www.lasemainedelallier.fr/lavoine-le-foyer-de-ski-debarrasse-des-steriles-radioactifs/
Une fois le gisement atteint, les minerais seront extraits dans une usine, située à proximité du site ou plus loin, parfois dans un autre pays.
Un traitement mécanique y sera réalisé, les roches seront tamisées en fonction de leur taille puis plongées dans un bassin de décantation. L’emploi de produits chimiques sera alors nécessaire « pour les métaux précieux et les ‘‘terres rares’’ dont la minéralisation est plus fine et complexe. »p.18 Par exemple pour l’or, un procédé chimique utilisant le cyanure est nécessaire pour séparer l’or des morceaux de roches inutiles. C’est ce qu’on appelle la « cyanuration », méthode qui a remplacé depuis 1970 celle utilisant un autre composé toxique, le mercure. On n’arrête pas le progrès…
Une fois le minerai obtenu, les résidus seront stockés dans de grands bassins pour éviter toutes les pollutions… En théorie…
Désastres écologiques et sanitaires
En pratique, il est facile de lister les nombreuses fuites de bassins pourtant jugés étanches par les industriels. Les résidus de la roche, après tous les traitements mécaniques et chimiques, constituent une matière particulièrement nocive. « Ils forment une boue liquide peu ragoûtante. Elle est ‘‘instable’’, passe facilement d’un état à l’autre, s’envolant en poussière quand elle est sèche, dégoulinant de partout quand elle est plus humide. Cette boue est, par définition, extrêmement toxique : elle contient les produits injectés par l’industrie, mais aussi des composants chimiques présents dès l’origine dans la roche […] » (p.19)
Lorsque cette boue s’échappe des bassins, les catastrophes écologiques sont importantes. « En 2000, les boues pleines de cyanure libérées par la rupture d’une digue à Baia Mare en Roumanie ont tout anéanti sur plus de 600 kilomètres de cours d’eau » (p.19)
« En 1998, lorsque Greenpeace dénonce la rupture de digue de la mine d’Aznalcóllar en Andalousie, qui libère 7 millions de tonnes de déchets toxiques et anéantit la vie sur 70 kilomètres de fleuve. » p.23
Les catastrophes sanitaires sont aussi fréquentes : « en France , hormis pour l’eau potable, il n’y a pas de principe de précaution ni de seuil réglementaire. » p.20 Il n’existe aucune protection contre les déversements de substances contenants du plomb ou du mercure que ce soit près des eaux de baignades ou des parcelles agricoles… « En Thaïlande, il a été reconnu qu’une génération entière d’enfants nés à proximité de la mine de plomb de Klity souffrait de retards mentaux, de croissance physique atrophiée et de saturnisme : la mine rejetait ses eaux usées dans la rivière. » p.20
Les pollutions aux minerais, comme le plomb, peuvent aussi être la conséquence du simple broyage des roches. Le drainage minier acide (DMA) est un phénomène qui se caractérise par la libération de soufre (contenu dans les roches) lors du broyage qui, au contact de l’air et de l’eau, produit des solutions acides[4]4https://www.systext.org/glossaire_drainage-minier-acide. Ces solutions acides vont avoir de graves conséquences sur la faune et la flore. « Au Canada, la rivière Tsolum a mis quarante ans à retrouver la présence des saumons qui faisaient sa fierté (et la prospérité du coin) et avaient été décimés dans les années 1960 par la mine locale. » p.17 Les populations locales sont elles aussi victimes de ces pollutions : « En Zambie, 800 personnes se sont retrouvées à l’hôpital après avoir bu de l’eau contaminée par la mine de cuivre de Mopani. » p.17.
En France, un lien a été clairement établi entre le bassin de Montredon et la pollution des nappes phréatiques[5]5https://www.ladepeche.fr/article/2018/01/16/2722585-un-etat-en-faillite-apres-la-ruee-vers-l-or.html. Dans le sud-est des Cévennes, où du zinc et du plomb ont été exploités jusqu’en 1971, de grandes quantités d’arsenic et de plomb ont été retrouvées dans les cours d’eau.
Et que dit le BGRM (Bureau de recherches géologiques et minières) pour résoudre ce problème : « S’il existe beaucoup de solutions “chères”, aucune ne s’avère miraculeuse. » p.18.
Réponse assez déconcertante au vu des problématiques que pose le DMA.
Un autre minerai pose des soucis, l’amiante. L’amiante regroupe un ensemble de minerais ayant une composition particulière[6]6https://www.inrs.fr/risques/amiante/presentation-amiante.html. Il existe donc plusieurs types d’amiantes. Les formes amosite et crocidolite ont été massivement utilisées dans le bâtiment pour leurs propriétés isolantes (thermique, acoustique et électrique), leur faible coût, leur résistance au feu, entre autres. Interdite en 1997, l’amiante est responsable de dizaine de milliers de morts[7]7https://www.senat.fr/rap/r05-037-1/r05-037-19.html. Ces fibres cancérigènes se trouvent dans les roches. La mine de Salau, en Ariège, a fait l’objet de nombreuses inspections pour savoir si des mineurs ont été malades à cause de l’amiante.
« En 1983, trois ans avant la fermeture de la mine, plusieurs cas d’asbestose sont déclarés, une maladie qui détruit les tissus pulmonaires et entraîne une insuffisance respiratoire. En décembre de la même année, puis en janvier 1984, la présence d’actinolite – variété d’amiante particulièrement nocive – dans la roche et dans l’air de Salau est attestée par deux rapports du BRGM » p.55-56
De 1983 jusqu’à 2011, aucune analyse détaillée ne vient compléter celles de 1983 et 1984. En 2011, des experts révèlent des pollutions, mais font face à un problème administratif qui les empêche de poursuivre leurs investigations concernant l’amiante… « En raison d’un aléa administratif lors de l’établissement des offres et des bons de commande, cette analyse n’a pas pu être réalisée » p.56.
Enfin, il existe une autre pollution qui se retrouve en bout de chaîne de la production, les produits manufacturés. « Dans un téléphone intelligent tactile classique, on trouve près de 50 métaux différents, jamais tout à fait les mêmes d’un fabricant à un autre » p.75
En effet, les objets électroniques de plus en plus complexes ont besoin d’un alliage composite de métaux pour pouvoir fonctionner.
« Dans le cas des ‘‘terres rares’’, le processus de séparation des différents éléments chimiques nécessite régulièrement des procédés chimiques particulièrement agressifs pour l’environnement et la santé, notamment du fait de la radioactivité de ces éléments ». Ceci risque d’entraver fortement le « recyclage » de produits à base de ces différents minerais… « D’après les estimations du Groupe d’experts international du PNUE pour la gestion durable des ressources, qui a étudié la situation de 60 métaux, 18 seulement sont aujourd’hui recyclés à plus de 50 % et 36 affichent un taux de recyclage inférieur à 10 %; il existe donc d’importantes possibilités d’amélioration dans ce domaine[8]8https://www.oecd.org/fr/env/dechets/48671413.pdf»
Ceci a pour conséquence de produire encore plus de déchets non recyclables…
Le fonctionnement d’une mine provoque toujours des dangers environnementaux et sanitaires. Les industriels le savent, mais pour continuer à faire croire à la bonne intention de leurs activités, ils n’hésitent pas à manipuler les faits pour obtenir l’approbation des populations.
Stratégies et résistances
Les outils des industriels miniers
Dans leur livre, les auteurs vont identifier et discuter plusieurs méthodes employées par les industriels pour faire accepter à la population la construction de sites miniers et obtenir des permis de recherche auprès des États.
Communications
« Dès 1950, l’Australie s’est dotée d’un centre de recherche public entièrement dédié au soutien à l’industrie minière, hébergé par l’Université du Queensland. » p.23
Ce centre de recherche publique va participer, avec d’autres, à l’acceptation sociale des mines ou du moins à promouvoir le secteur minier sans changer leurs politiques de gestion des déchets.
« (…) adopter les méthodes les plus sûres en matière de confinement des déchets toxiques ferait littéralement exploser les coûts, au point de remettre en cause l’intérêt économique des projets, et donc l’activité même des miniers. » p.24
En 2001, ce centre de recherche publique Australien prendra le nom de l’Institut des minéraux durables (Sustainable Minerals Institute) et organisera dix ans plus tard le premier « Séminaire international sur la responsabilité sociale des mines. » p.24 Ce séminaire aura pour but de « découvrir comment sécuriser l’acceptation de la mine par les communautés locales » p.24. Un autre acteur, l’ICMM, Conseil international des mines et métaux, sera fondé lui aussi en 2001 et regroupera des grosses multinationales comme RioTinto, Freeport-McMoran, BarrickGold qui ne se soucient pas vraiment des êtres vivants et de leurs environnements[9]9« Une journée d’action internationale contre Rio Tinto », Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales, 7/10/2014 La Commission indonésienne des droits de l’homme demande la … Continue reading. Ces deux acteurs de la communication vont semer le doute quant à la dangerosité des mines auprès de la société civile.
Ces deux acteurs de la communication vont semer le doute quant à la dangerosité des mines auprès de la société civile.
Une de leur stratégie consiste à faire croire que la vérité se trouve entre deux extrêmes. Sur les sites internet de certaines entreprises minières, on peut lire : « la ‘‘culture zéro blessure’’ de Newmont, le ‘‘durable au cœur du business’’ d’AngloGold Ashanti » p.25 Ces slogans, très grotesques, sont lus par les journalistes qui vont , « toujours soucieux d’un traitement ‘‘équilibré’’ de la question » p.25 opposer les annonces des industriels avec les dénonciations des activistes. « Ainsi, le grand public aura l’impression que la vérité se situe quelque part entre les deux. »
Même chose avec la loi Dodd-Franck, promulguée sous Barack Obama en 2010, obligeant « les entreprises à signaler quand elles achètent des métaux issus des zones de conflit en République démocratique du Congo » p.26
Le Centre pour un développement global (Center for Global Development) publiera en 2014 une étude visant à discréditer cette loi en prétextant des conséquences involontaires : par exemple, elle risquerait d’affamer les personnes vivant dans les zones de conflits. Résultat : « de nombreux articles de journaux ont relayé auprès du grand public la critique de la loi » p.26 Bien que des ONG comme Human Right Watch ou Amnesty International aient présenté les nombreux effets positifs de cette loi, le travail de diffusion qui a été fait de l’article du Center for Global Development fera penser au plus grand nombre que la vérité se situe entre les ONG et les experts anti-loi Dodd-Franck.
Deuxième stratégie de communication répandue, mentir par omission en déclarant la quantité des ressources non exploitées plutôt que celle exploitée. La compagnie minière Anglo American (membre de l’ICMM bien évidemment) indique sur son site en 2018 « Nous avons sauvé 23 millions de m³ d’eau ». En y regardant de plus près, « Après en avoir consommé 222 millions de m³ en 2015, Anglo American n’en aurait consommé ‘‘que’’ 191 millions en 2016 » p.25 Le mythe du développement durable est de « permettre à une activité qui détruit la vie de continuer éternellement, mais un peu moins vite chaque année. » p.26
Troisièmement, il est important pour les industriels de pouvoir définir eux-mêmes les normes et les règles du secteur. C’est ce qu’a exprimé le vice-président d’AngloGlod Ashanti (membre de …l’ICMM) en déclarant : « En développant de manière proactive la norme “conflict-free gold”, l’industrie de l’or a montré qu’elle met elle-même en place des normes exigeantes. » Cela est assez irritant à entendre quand on sait qu’AngloGold est propriétaire de la mine « Sadiola, responsable de dommages irréversibles au Mali » p.27
Enfin, dernière méthode discutée ici, promettre d’être dans une démarche responsable et durable pour atténuer la colère des populations locales. C’est ce que va faire E. Macron en 2015 alors Ministre de l’économie. Après avoir accordé plusieurs permis de recherches, qui soulèveront la colère des habitant.es, il va créer « le comité Mines responsables » qui sera « chargé d’élaborer une stratégie pour une mine ‘‘verte’’ à la française. » p.29
Cela sera une vaste fumisterie. Un « livre blanc » a été promis mais ne sortira jamais et à l’heure actuelle il n’existe toujours aucune charte de signée, certains parlent même de science-fiction pour géologues[10]10https://reporterre.net/Le-label-mines-responsables-De-la-science-fiction-pour-des-geologues…
Complaisances Étatiques
Comme pour de nombreux secteurs où la souveraineté de l’État est en jeu, les instances publiques et les entreprises marchent de concert et ces dernières en tirent toujours profits au détriment des populations locales.
-Préfet ;
À la fin du XXe siècle, les entreprises minières ferment les unes après les autres. En 1996, l’effondrement de dizaines de maisons bâties sur un bassin minier en Lorraine va donner naissance à « une politiques publique de gestion des mines » p.37 Donnant plus tard la « loi de l’après-mine » qui posera les bases du code minier et qui stipule que : « le titulaire d’un titre minier est responsable des dommages causés par son activité », « sa responsabilité n’est limitée ni au périmètre du titre minier ni à sa durée de validité […] en cas de disparition ou de défaillance du responsable, l’État est garant de la réparation des dommages. » p.37
Ce qui signifie que pour tout dédommagement, les victimes peuvent se tourner « soit par l’entreprise, soit par l’État qui s’y substitue automatiquement et peut poursuivre le responsable. » Cependant la personne en charge de « Définir les risques en amont, valider les autorisations de travaux, fixer les conditions de départ de l’entreprise, vérifier qu’elles sont respectées » p. 37 n’est autre que le préfet. Il est à la tête de la « police des mines composé de la Dreal ‘‘Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement’’ et du BGRM. »
Cette disposition aura des conséquences similaires à celles de ces deux affaires : les mines des Cévennes et de Salsigne : « Comme à Salsigne, la police des mines a laissé partir les coupables. Comme à Salsigne, les cancers se multiplient sans que cela ne perturbe les autorités. Comme à Salsigne, le BRGM produit opportunément des études évitant soigneusement les zones les plus polluées. Comme à Salsigne, le préfet ne communique pas les résultats lorsqu’ils sont alarmants. Comme à Salsigne, seule la bataille permanente livrée par quelques habitant·es permet d’alerter des journalistes et de faire éclater quelques vérités » p.41
Comme dans d’autres secteurs, l’État ne reconnaîtra pas entièrement les pollutions entraînées par les mines car celui-ci pourrait recevoir « de nouvelles revendications de transparence et de mesures de sécurité » p.42
-Code minier ;
« Le code minier est obsolète » déclare Nicole Bricq en 2012 alors Ministre de l’Écologie (pour un mois seulement).
Entre l’État, les industriels et les associations environnementales, les attentes diffèrent. l’État aimerait accélérer l’exploitation des richesses du sol avec la mise en place d’un « Haut Conseil des Mines ». Les compagnies minières aimeraient avoir des procédures raccourcies et simplifiées tandis que les associations environnementales aimeraient en finir avec le Droit de suite.
Le Droit de suite est définit dans le code minier comme suit : « il garantit aux miniers, s’ils trouvent ce qu’ils étaient venus chercher, la possibilité de rentabiliser leur investissement sans que l’État ne puisse décider de confier l’exploitation à quelqu’un d’autre ou changer simplement d’avis. » p.46
Ensuite, d’après le code minier de 2018, « lorsqu’une entreprise sollicite un permis exclusif de recherche (PER) auprès du ministère de l’Économie, celui-ci est tenu de mener des consultations avant de donner sa réponse. » p.46
Cette consultation se fera seulement auprès du « Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, composées en grande majorité d’ingénieurs généraux des mines (des hauts fonctionnaires issus en grande partie de l’École des mines de Paris) et de contrôleurs généraux économiques et financiers » p.46
Après examen par le préfet des « derniers bilans financiers de l’entreprise et la liste des travaux envisagés » p.47 ainsi qu’une consultation (obligatoire par le code de l’environnement) pour recueillir, pendant 3 semaines dans une boîte mail officielle, des commentaires. Bien entendu, la mise en place de cette boîte mail se fera « Sans autre communication que sur les sites Internet gouvernementaux, sans annonce à la presse, sans l’organisation d’une quelconque réunion publique. » p.47
Un projet de réforme du code minier prévoit en plus que le ministre de l’Économie devra justifier « publiquement la raison de l’octroi ou non du permis. » p.47
Une fois le permis délivrée, une commission spéciale de suivi devra être mise en place dans les zones de fortes contestations. L’État reste maître du jeu et fixe « le cadre, la fréquence, la liste des invités·es et surtout la règle du jeu : les décisions reviennent toujours au ministre de l’Économie et à la préfecture. » p.47
Un énième outil pour faire croire à un semblant de démocratie aux bénéfices des industriels qui s’assoient dessus avec la complicité de l’État.
Les sociétés juniors
Plusieurs facteurs rendent la phase exploratoire difficile et peu attrayante financièrement , « Le gisement peut être moins riche que prévu, les cours peuvent redescendre sur les marchés mondiaux, les résistances locales peuvent être trop fortes, le climat politique du pays peut changer. » p. 57
C’est pour cela que selon les auteurs, les multinationales du secteur minier utilisent les « juniors ». Les juniors sont de petites entreprises minières spécialisées dans la prospection des gisements et l’obtention des permis de recherche. Leur principale caractéristique est que ces sociétés apparaissent et disparaissent en très peu de temps. Ces sociétés bénéficient d’un financement par les fonds de capital-risque. Ce sont des professionnels dont leur métier est d’« investir dans beaucoup de projets bancals, puis de jouer : se débarrasser au bon moment de ceux qui échoueront, toucher le jackpot avec ceux qui réussiront . » p. 57
Dans leur livre, les auteurs cite l’exemple de Variscan qui « a obtenu ses permis de recherche avec une toute petite équipe salariée, aucun passif dans le secteur et très peu de capital » p. 58
Pour obtenir un permis d’exploitation de la Mine de Salau, Variscan a besoin d’investissements importants. C’est alors qu’un jeu d’investissement et rachat de parts se fera entre Variscan, Ariège tungstène, Les mines du Salat (ces deux sociétés ont été montées spécifiquement pour cette opération) et enfin le fond de capital-risque Apollo Minerals. L’opération entre ces différents acteurs sera suffisamment obscure pour que la société civilene puisse en comprendre les tenants et aboutissants. En pleine révélations sur les Panama Papers, il fallait rassurer l’État qui craignait un autre scandale.
Résistances
Heureusement, des personnes censées et soucieuses de leurs environnements documentent et dénoncent ces manœuvres malhonnêtes. Des résistances qui prennent différentes formes voient le jour bien souvent près des sites miniers avant l’obtention du PER.
Dans « les Côtes-d’Armor et le Morbihan, en Mayenne, dans la Sarthe et la Creuse, des milliers de personnes se sont organisées pour envoyer un ‘‘bon de refus’’ à leurs préfectures. » p. 48
Comme bien souvent, il faut multiplier les types de résistances. Des manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes apparaissent dans les villes proches où les compagnies minières prospectent : « Le 16 septembre (2018), près de 2 000 personnes défilent à Bayonne contre l’entreprise Sudmine à Bayonne . » p. 50
« À Merléac, une liste de numéros de téléphone a été établie. Elle recense toutes les personnes prêtes à venir en urgence bloquer le passage d’une foreuse qui pointerait malgré tout le bout de son nez. » p.50
La contestation de ces projets miniers est aussi une contestation du monde toujours plus artificiel et toxique qu’entraîne la Civilisation… «Ironiquement, mais implacablement, la micro-informatique, (…) censée résoudre les contradictions du monde industriel, s’est retournée en moyen de sa pérennisation et de son accroissement. Le travail à la chaîne le plus abrutissant est plus que jamais de mise dans les usines d’électronique et les plateformes d’appels. Il n’y a jamais eu sur la planète autant de paysans qui quittent leurs terres vers les villes pour produire à l’échelle mondiale les objets issus des “idées” qui ont germé dans les technopoles. Ce que dissimule la fable platonicienne d’une économie propre et immatérielle fondée sur la connaissance, c’est l’extension ininterrompue de l’usine-monde. » p. 76
Ce mythe de la technopole doit être aussi combattu au quotidien en réduisant, par exemple, l’utilisation d’objets connectés et inutiles, en refusant le renouvellement annuel des modèles de smartphones et d’Iphone, en dénonçant l’obsolescence programmée et le gaspillage. « Lutter contre la mine, c’est aussi défendre la généralisation de la réutilisation des métaux.[…] Ces métaux ont déjà été sortis de terre, il faut maintenant tout faire pour les conserver, les récupérer et les réutiliser. » p. 84
Comme le soulignent les auteurs, « L’ouverture de mines en France ne ferait qu’ajouter de nouveaux joueurs au grand casino des métaux, sans rien changer aux règles d’un jeu primordial pour l’économie mondiale. » p.81 Il va falloir mener de front une résistance aux entreprises françaises emblématique comme Orano ainsi que sur celle des « secteurs gourmands en métaux que sont le BTP, l’automobile ou l’armement. » p. 81
Grèce et Guyane, deux cas d’école
Les auteur.ices citent deux exemples concernant des projets aurifères.
La Grèce
L’un se situe en Grèce dans la forêt de Skouries. Une mine d’or à ciel ouvert est prévue par l’ entreprise Hellas Gold. Cette junior est née trois jours avant le rachat de la concession minière auprès de l’État grec. Elle obtiendra le permis en juin 2011 pour ouvrir la mine.
En 2012, Eldorado Gold rachète Hellas Gold.
S’ensuit alors une bataille entre l’entreprise et les opposant.es au projet.
Pour s’emparer d’un territoire et y installer un site minier, les industriels recourent aux mêmes stratégies :
« D’abord, s’assurer le soutien […] des élu·es locaux·ales pour avoir la voie libre du côté des procédures légales. Ensuite, allier responsabilité environnementale et répression, privatisée ou non, pour sécuriser le site et neutraliser les voix discordantes. Sans oublier un élément essentiel : diviser les villages et les familles … » p. 95
Comme pour de nombreux projets miniers, la mine soulèvera une résistance parmi la population locale, ici les habitant.es de la Chalcidique.
Concernant le volet environnemental, la mine nécessite le déboisement de plusieurs centaines d’arbres. Pour combler cette destruction, un des collaborateurs de l’entreprise dira : « Nous plantons des arbres ailleurs, en compensation de ceux que nous coupons maintenant dans la forêt de Skouries.» p. 99
Pour rassurer encore « Les entreprises développent aujourd’hui une véritable ‘‘technologie de l’éthique’’ qui vise à ce que ‘‘l’activité intègre la résolution de ses propres contradictions’’. » p.100
Ce qui a pour objectif de « disqualifier les écologistes, relégué·es au rang d’extrémistes passéistes. » p.100. Mais aussi et surtout de pouvoir, à l’aide de nouvelles technologies, réexploiter d’anciennes mines et faire face à la baisse des stocks mondiaux de minerai pour assurer une certaine indépendance dans un contexte international qui évolue vite.
« En Chalcidique, sur une tonne de roche extraite du sol, Hellas Gold espère ainsi obtenir 0,82 gramme d’or, une quantité extrêmement faible au regard des 4 ou 5 grammes par tonne jugés rentables dans les années 2000. » p.101
Le « flash melting » serait, selon les responsables d’Hellas Gold, une nouvelle technique d’extraction pouvant remplacer la cyanuration et donc moins polluante pour l’environnement. Problème, les salariés ne connaissent pas vraiment le principe de cette méthode. Heureusement, en Grèce, le permis environnemental stipule qu’en cas d’échec du flash melting, l’entreprise pourra revenir à la cyanuration…
Concernant la partie sociale, le projet de mine dans la région divise fortement la population. D’un côté, les mineurs dépendent de l’activité minière, et l’État grec, dans une loi de 1973, interdit, sur les territoires miniers, toute autre forme d’activité qui est « disqualifiée et ne reçoit ni permis ni aides de la part des autorités. » p.108
D’après les auteur.ices, une lutte contre un projet minier a été durement réprimée laissant un sentiment de résignation parmi les témoignages des mineur.es ou de leurs familles.
« ‘‘Les gens de Ierissos, ils s’en sortent grâce au tourisme […] Ils sont moins touchés par la crise, c’est plus facile pour eux de contester. Et quand on s’est battus contre l’entreprise, ils ne sont pas venus nous aider.’’ Elle parle ici de la lutte acharnée et durement réprimée des habitant·es de Stratoniki en 2002, lorsque TVX Gold s’est mise à agrandir les tunnels à la dynamite sous les maisons. » p.107
D’un autre côté, les résistant.es s’organisent, en Chalcidique, par la formation et l‘échange d’informations sur ce projet minier avec la création d’une radio libre mais aussi en créant et en maintenant un lien entre locaux. « Selon elle [Témoignage d’une résistante], c’est entre voisin·es que la confiance est la plus facile à construire. ‘‘Avant on ne se parlait pas. Maintenant on se connaît, on organise même des fêtes collectives.’’ » p. 105
Il y a aussi le sabotage de machine entraînant des arrestations arbitraires par le gouvernement dans le village.
Ce clivage entre locaux est le résultat des manipulations menées par Hellas Gold : « En réalité, ce genre d’entreprise donne du travail aux populations locales durant les premières années, lorsqu’il faut construire. Mais ensuite il leur faut une main-d’œuvre plus qualifiée, alors ils se séparent d’une partie de leur force de travail et embauchent à l’extérieur.» p. 109
Arrivé au pouvoir en 2015,le parti de la gauche radicale Syriza « n’a pas vraiment jeté dehors Eldorado Gold, ce qu’il avait pourtant promis ». p. 113
« En août 2015, le ministère de l’Environnement et de l’Énergie décrète bien la suspension des travaux et le gel des procédures d’autorisation, pour diverses violations ayant trait aux règles environnementales ». p.113
Cependant, Eldorado a publié les résultats de l’étude de faisabilité du projet concernant la mine de Skouries en décembre 2021[11]11https://fr.eldoradogold.com/assets/operations-and-projects/europe/projects/skouries-greece/default.aspx
La Guyane
La Guyane est un territoire avec un long passé marqué par l’exploitation de l’or pour l’essentielle de manière artisanale. Depuis quelques années, de grosses multinationales tentent d’ouvrir une mine à ciel ouvert pour exploiter à grande échelle les ressources aurifères locales. IamGold, NordGold et Colombus Gold font partie de ces entreprises. La filiale de NordGlod et Columbus Gold, Compagnie minière Montagne d’or (CMO), tente d’obtenir en 2018, un permis d’exploitation pour la montagne de Kaw. Malgré des gisements importants de l’ordre de 1,8g d’or par tonne de roche broyée (actuellement une mine est rentable jusqu’à 0,3g/tonne), les études d’impacts sur la biodiversité et les résistances locales retardent l’ouverture de ce site minier. Ce site pourrait provoquer « … un trou [Dans la montagne] où la tour Eiffel entrerait largement tout entière, et une surface équivalente à 150 stades de football … » p. 66
L’association France Nature Environnement (FNE) a saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) autorité administrative ayant pour objectif « d’informer les citoyens et de faire en sorte que leur point de vue soit pris en compte dans le processus de décision, lors de la réalisation de ‘‘grands projets’’ »p.66 La FNE a demandé un débat au niveau de la métropole mais celui-ci a été refusé par la CNDP préférant en faire un enjeu régional avec un temps assez court puisque celui-ci a eu lieu entre mars et juin 2018 alors que « les étapes d’exploration et d’études diverses sont déjà intervenues »p.67
Comme pour les autres projets, on retrouve les mêmes techniques communes de la part des industriels miniers. Site internet mettant en avant une approche responsable, ouverture d’un bureau « pour mieux informer la population »p.67, le fameux « les miniers pourront replanter la forêt décimée » p.67 et surtout les promesses concernant la population locale. Le directeur de la CMO déclare des retombées fiscales importantes sans prendre en compte toutes les taxes auxquelles est soumise l’exploitation minière. De plus, le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) a souligné que le projet est «Trop subventionné – l’utilisation du terme ‘‘subvention’’ renvoyant à une défiscalisation généreuse proposée par l’État aux investisseurs dans les départements et régions d’outre-mer (Drom). » p.69
Pour l’emploi, une licence intitulée « Valoress » a vu le jour en 2017, mais « n’oublions pas que le temps d’exploitation n’est prévu que sur une douzaine d’années. Où iront alors tous·tes les salarié·es, une fois l’or récolté ? »p.69
Enfin, en ce qui concerne l’environnement, la CMO annonce « que l’usine de traitement sera équipée d’ un circuit de détoxification du cyanure. »p.69
Cependant ces promesses ont été décriées et remises en cause par les alliances entre franges politiques amérindiennes, associations de défense et organisations environnementales.
Le collectif « Or de question » a ainsi organisé, depuis 2017, des manifestations, des conférences, des productions par des experts autour de ce projet. Il a réalisé un document décrivant « ‘‘25 filières d’emplois d’avenir’’, dans l’agriculture, la pêche, la restauration alimentée en ressources locales, les métiers du bois, l’enseignement, l’éducation à l’environnement » p.69
Une ingénieure de l’association ISFSystExt a remis en cause le système de détoxification du cyanure par la CMO :
« Il faut des installations très surveillées, afin d’éviter que ces substances hautement toxiques se propagent dans l’eau, ce qui entraîne leur dispersion dans l’environnement. Des précautions difficiles à mettre en œuvre dans le contexte guyanais à cause des fortes pluies, de la difficulté à canaliser les eaux de surface et de la turbidité des eaux, lorsqu’une forte concentration de particules en suspension trouble l’eau. » p.70
L’Alliance globale pour les droits de la nature (Garn) organise régulièrement des séances publiques d’un « Tribunal international des droits de la nature » autoproclamé.
Ce tribunal permet de faire entendre la voix des principales populations impactées par cette destruction d’origine civilisationnelle. Un habitant kalina déclare en Novembre 2017, en Allemagne : « Aujourd’hui, tout est contaminé par le mercure de l’orpaillage. La seule réponse de la France ? “Arrêtez de manger du poisson !”Aujourd’hui, nous sommes obligés d’aller chercher de la nourriture dans les grandes surfaces et de payer pour ces produits qui nous sont imposés. Notre choix ? Manger du poisson, qui nous contamine, ou acheter ces produits et nous serons tout de même contaminés par des pesticides ou des OGM » p.71
Ces exemples confirment la nécessité que pour lutter et résister face à ces industriels, acteurs importants de la Civilisation, il faut une opposition populaire constituée aussi bien d’expert.es indépendant.es que des habitant.es locaux ne voulant pas voir leur environnement se dégrader. Cette résistance peut prendre plusieurs formes allant de l’échange d’information au sabotage en passant par des manifestations, des événements conviviaux pour créer et maintenir le lien entre les résistant.es. L’appétit vorace des multinationales de la mine risque d’être toujours plus visible et violent à mesure que la demande en minerais croît.
Jordan
Relecture et corrections : Ana Minski
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