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« Dans un contrat solennel avec moi-même, je m’étais juré que je ne serai jamais comme ces adultes-là, fiers d’une incohérence et d’une indécence que leur permettait leur position de pouvoir, et que je ne renoncerais pas à un monde de vérité, de droits et de justice, ni à un monde où les enfants auraient des droits et où les femmes seraient les égales des hommes. Le monde ne pouvait se résoudre ce que m’en disaient les adultes, un monde où la loi du plus fort prévalait et faisait office de vérité, où il fallait toujours être du bon côté ; je voulais croire à un autre monde, un monde d’égalité, de respect, de fraternité, un monde sans violence. » (p. 17)

Muriel Salmona est psychiatre, fondatrice et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. Cette association, fondée en 2009, est un organisme d’information et de formation pour les intervenants prenant en charge les victimes de violences, en particulier de violences sexuelles, mais aussi de violences conjugales, de violences faites aux enfants, et de violences liées au terrorisme. Son essai Le Livre noir des violences sexuelles, publié en 2013, a été réédité en 2022 aux éditions Dunod.

Selon l’association Mémoire traumatique et victimologie, 190 000 viols seraient commis en France par an :

« Comment obtient-on ce chiffre ? Pour l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) de 2000, 0,3 % des femmes de 20 à 59 ans ont subi des viols, soit environ 50 000 femmes par an. L’enquête INSEE 2005-2006 sur des femmes de 18 à 59 ans donne le chiffre bien supérieur de 0,7 % de viols (1,5 % pour les viols et les tentatives de viols) sur une année, soit un peu plus de 115 000 femmes par an. Ce chiffre est plus élevé que celui de l’enquête ENVEFF car il comprend en plus les femmes de 18 à 20 ans (or ce sont les femmes les plus jeunes qui subissent le plus de viols : trois fois plus pour les femmes de 19 à 29 ans). Sachant qu’il manque toujours les chiffres concernant les femmes de plus de 59 ans, et les viols subis par les mineures (l’enquête Contexte de la sexualité en France CSF de l’INSERM et de l’INED de 2006 publiée en 2008 indique que plus 59 % des viols et des tentatives de viols sont commis sur des mineurs), on arrive à des chiffres qui seraient bien supérieurs à 150 000 viols par an… Auxquels il faut rajouter les viols subis par les hommes, qui seraient quatre fois moins nombreux, on compte effectivement au minimum 190 000 viols par an en France ! » (p. 34)

Toutes les études sociologiques démontrent que les agresseurs sont majoritairement des hommes (98 %), tandis que les victimes sont majoritairement des femmes et des enfants.

En 1994, David Finkhelor mena une étude de grande envergure qui révéla la prégnance des violences sexuelles chez les mineurs :

  • 10 % des victimes ont entre 0 et 3 ans ;
  • 28 % entre 4 et 7 ans ;
  • 25,5 % entre 8 et 11 ans ;
  • 35,9 % de 12 à 18 ans ;

Dans 91 % des cas, les violences sexuelles sont commises par des proches ou quelqu’un de connu par la victime. Cette violence commence très tôt, dans la famille et dans les écoles.

« (…) ces violences sont surtout fréquentes dans les univers considérés comme les plus protecteurs, ceux-là même où devraient régner amour, soins, protection et sécurité : la famille, le couple, les milieux institutionnels de l’éducation, de la santé, de la protection des personnes, le travail. » (p. 31-32)

L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) montre que les univers du soin sont les lieux de travail où il y a le plus de violences sexuelles, avec ceux de la restauration et de l’hôtellerie.

Les violences sexuelles, comparables aux actes de torture et de barbarie, entraînent de graves conséquences psychotraumatiques.

I. Les psychotraumatismes

Bien que les traumatismes psychiques soient connus de la psychiatrie militaire et pris en charge depuis des années, il aura fallu attendre les années 1990 pour que la psychiatrie civile commence à s’en préoccuper.

C’est à la suite des attentats parisiens, et à la création des cellules d’urgence médico-psychiatriques en 1995, que la notion de stress post-traumatique se développera en France puis, lentement, dans le milieu médical. Depuis les années 2003-2005, les recherches en neurosciences, couplées à la clinique, ont permis de mieux comprendre les réactions et les perturbations de certaines fonctions du cerveau lors de violences traumatisantes. Ces perturbations produisent des altérations de la conscience et des troubles de la mémoire émotionnelle qui seront la cause de troubles psychiques et de souffrances mentales.

« Face à une situation dangereuse, nous sommes tous programmés pour déclencher immédiatement une réaction émotionnelle de survie, automatique et non consciente. Cette réaction est commandée par une petite structure cérébrale sous-corticale, l’amygdale cérébrale. » (p. 75)

L’amygdale cérébrale commande la sécrétion par les glandes surrénales d’hormones du stress : l’adrénaline et le cortisol. Physiquement, le cœur se contracte plus fort et bat plus vite, le débit sanguin augmente, la fréquence respiratoire s’accélère, un état d’hypervigilance se déclenche. Quand un individu est victime d’une agression mettant en danger sa vie, s’il ne peut ni fuir ni combattre, la charge élevée de stress met en danger sa vie. Pour y remédier, le cerveau déploie un processus de protection dont les étapes sont les suivantes :

  • Sidération : la victime est paralysée ;
  • Disjonction : le cerveau se déconnecte, la victime est dans un état d’anesthésie émotionnelle et physique ;
  • Dissociation : la victime se dissocie de son corps, elle continue de vivre les violences mais ne ressent plus rien.

Viennent ensuite les séquelles :

  • Mémoire traumatique émotionnelle : mémoire émotionnelle et sensorielle qui fait revivre les violences subies, avec les mêmes sentiments d’effroi, de détresse, de mort imminente, d’impuissance et de sidération ;
  • Conduites à risques dissociantes et mises en danger  qui deviennent un moyen pour calmer la souffrance mentale et physique, pour se déconnecter de la réalité en altérant la conscience.

Dans un premier temps, l’activité corticale de la victime se paralyse. La victime se retrouve dans l’incapacité d’analyser la situation et d’y réagir de façon adaptée. Elle ne peut ni crier, ni parler, ni organiser de façon rationnelle sa défense (ce qui lui sera souvent reproché ensuite). La victime est dans un état de sidération. Ce mécanisme de défense existe dans tout le règne animal.

Les sécrétions importantes d’hormones de stress, d’adrénaline et de cortisol mettent en danger de mort la victime, non seulement par la volonté criminelle de l’agresseur, mais aussi par le risque vital créé par le stress extrême généré par les violences. Pour éviter le risque vital cardio-vasculaire et neurologique le cerveau se déconnecte :

« Cette disjonction interrompt brutalement les connections entre l’amygdale et les autres structures du cerveau. L’amygdale isolée reste ‘‘allumée’’ mais ses informations ne passent plus. La sécrétion d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) s’arrête brutalement et le risque vital avec. Le cortex ne reçoit plus d’informations sur l’état émotionnel psychique et physique. L’amygdale cérébrale ne transmet plus d’information à l’hippocampe pour traiter la mémoire de l’évènement et donner des repérages temporo-spatiaux. La disjonction traumatique va être à l’origine de deux conséquences neuro-biologiques qui seront au cœur des troubles psychotraumatiques et à l’origine de toutes les conséquences sur la santé : la mémoire traumatique et la dissociation. » (p. 77-78)

La disjonction entraîne une dissociation. La victime devient étrangère à son corps, elle est dans un état de conscience modifiée : irréalité, flottement, indifférence, insensibilité, sortie du corps, distorsions perceptives et temporo-spatiales. La victime est comme absente, simple spectatrice de son agression du fait de l’anesthésie émotionnelle et physique.

« (…) les phénomènes dissociatifs péri-traumatiques peuvent se prolonger quelques minutes, quelques heures, voire plusieurs jours ou parfois plusieurs mois et donner des états confusionnels ou des états discordants avec des affects inappropriés, des rires, une excitation, ou au contraire un calme et une sérénité étonnante liée à une anesthésie émotionnelle massive. Ces états émotionnels discordants vont perturber l’entourage et susciter de nombreuses réactions inappropriées d’incrédulité, de minimisation des faits, d’absence d’empathie, voire de maltraitance et de non-assistance à personne en danger. » (p. 91)

La mémoire traumatique s’installe après les violences. Elle fera revivre l’état de stress de l’événement traumatisant et sera à l’origine de nouvelles disjonctions du circuit émotionnel.

« Elle est une mémoire émotionnelle et sensorielle ‘‘fantôme’’ intrusive et incontrôlable des violences subies. Quand elle n’est pas traitée, elle hante les victimes pendant de longues années, parfois même toute leur vie. » (p. 25)

Dissociation et mémoire traumatique conduisent souvent les victimes vers des conduites à risque paradoxales telles que conduites addictives, mises en danger, automutilations. À court terme, ces conduites sont très efficaces pour échapper à un mal-être insupportable et incompréhensible produit par la mémoire traumatique. Les violences exercées sur autrui peuvent aussi faire partie de ces conduites à risques dissociantes :

« Pour se soulager et s’anesthésier, ces agresseurs, qui sont d’anciennes victimes traumatisées ou des témoins de violences, vont s’autoriser à instrumentaliser des personnes qu’ils peuvent dominer – des proches le plus souvent – pour les transformer contre leur gré en victimes ‘‘médicaments et fusibles’’ dédiées à leur confort et à leur toute-puissance. Mais soulignons d’emblée que devenir un agresseur est toujours un choix personnel que l’on s’autorise en profitant d’un rapport de force qu’on pense favorable à soi. Seule une minorité des victimes ou des témoins traumatisés deviendront des agresseurs, mais cela suffit pour alimenter un cycle de la violence. » (p. 24)

II. Des violences naturalisées

La prise de conscience des conséquences traumatiques des violences est certes récente mais ce n’est pas la raison pour laquelle 90 % de femmes victimes de violences sexuelles n’ont pas reçu les soins optimaux. Cette incompétence est due à une méconnaissance de l’impact de ces violences, à une mauvaise formation des médecins, mais aussi à une négligence et à une inaction politique, soit par ignorance, soit consciemment.

Les différents stéréotypes concernant la sexualité humaine et la psychologie féminine participent également à minimiser, voire ignorer, les traumatismes causés par les violences sexuels.

  • Les stéréotypes sur une sexualité humaine naturellement sadomasochiste conduisent à une confusion entre sexualité et violence, créent une vision prédatrice et pulsionnelle de la sexualité masculine, avec des rôles caricaturaux distribués aux hommes et aux femmes ;
  • Les stéréotypes sur la sexualité féminine  construisent des mythes tels que celui de la vierge, la frigide, la femme passive, la nymphomane, la fille facile, la bombe sexuelle, la traînée, la salope, la prostituée, etc., et permettent de véhiculer une image dégradée de la femme, réduite et morcelée en tant qu’objet sexuel, omniprésente dans les m
  • édias, la publicité, le cinéma et une bonne partie de la presse ;
  • La féminité se définissant par le négatif du masculin, par le manque, la faiblesse, la vulnérabilité, font penser que la victime, pour se protéger, manipule, exagère et que sa plainte est méprisable ;
  • Les stéréotypes sexistes décridibilisent la parole des victimes de viol, femmes et enfants, qui sont systématiquement accusés de mensonge et de manipulation, soupçonnés d’en être à l’origine, de l’avoir mérité, d’y avoir consenti, d’avoir aimé ça ;
  • Les différents stéréotypes concernant le développement psychosexuel des enfants prépubères.

Nous savons aujourd’hui que 72 % des victimes de viols gardent des séquelles physiques et psychologiques importantes. Pourtant, la plupart des membres de la société, qu’ils proviennent du corps médical, de l’institution psychiatrique, juridique, policière ou des proches, minimisent l’impact des violences sexuelles sur les victimes. Trop souvent les violences sexuelles sont jugées comme inhérentes aux pulsions et besoins de la sexualité masculine. Selon ce point de vue, la relation entre homme et femme serait naturellement sadomasochiste. Il ne s’agirait donc pas de violences mais de sexe. Ne pas accepter ces comportements serait déraisonnable et idéaliste. C’est aussi pour ces raisons que toute critique de la prostitution et de la pornographie est souvent jugée rétrograde et puritaine.

« … la recherche d’une vérité inconsciente cachée derrière les significations et les contenus latents du discours du patient, de ses comportements, de ses lapsus, de ses rêves et de ses symptômes était passionnante et profitable pour le travail psychothérapique. Mais son concept central, le complexe d’Œdipe et la vision freudienne de la sexualité tels qu’ils m’étaient enseignés me posaient problème. Tout d’abord j’avais du mal à les reconnaître comme universels, je ne les trouvais ni justes, ni cohérents, que ce soit pour les patients ou pour moi-même. Ils me paraissaient dépassés, construits sur une vision sexiste des rapports hommes-femmes et sur une vision catastrophique de la sexualité, celle-ci étant envisagée comme une pulsion naturellement violente et prédatrice, que la civilisation et l’éducation devaient arriver à contenir ou à sublimer. » (p. 18)

Les stéréotypes sexuels véhiculent le mythe que ces violences sont normales, inhérentes à la sexualité, des preuves d’amour, que les femmes rêvent d’être humiliées, violées et frappées, et que les enfants ne cherchent et ne comprennent que les humiliations et les coups.

Ainsi que le rappelle Muriel Salmona :

« Les violences sexuelles n’ont rien à voir avec un désir sexuel ou une tentative de séduction, ni avec des pulsions sexuelles, les violences intrafamiliales sexuelles (inceste, viols conjugaux) n’ont rien à voir avec de l’amour. Désirer, aimer ne signifient pas posséder, ni instrumentaliser pour son propre compte. Ce sont juste des armes très efficaces pour détruire et dégrader l’autre, le soumettre et le réduire à l’état d’objet et d’esclave que l’on utilise pour son plaisir et pour son besoin de mettre en scène une violence extrême. » (p. 55)

Le corps médical, dont l’histoire est intimement liée à la consolidation du patriarcat, est encore trop influencé par les stéréotypes sexuels mystificateurs. C’est aussi pour cela que les souffrances psychiques et les douleurs physiques chroniques des patientes sont dans l’ensemble gravement sous-estimées :

« (…) devant la souffrance de patients dont les vies ont été fracassées par des agressions répétées, la réponse du corps médical, sous prétexte de soigner, génère en fait chez eux de nouvelles souffrances en les brutalisant et en les réduisant à leur maladie ou à leurs symptômes, sans chercher ni à les écouter, ni à les comprendre. Les patients ne peuvent que se sentir abandonnés, dépossédés de leur libre arbitre et réduits au silence par un corps médical en position de toute-puissance. » (p. 7)

À cela s’ajoute l’ignorance de la psychotraumatologie par la majorité des médecins. Pourtant, une reconnaissance des violences subies, un dépistage des troubles psychotraumatiques, une prise en charge de qualité, précoce, empathique et bienveillante soulageraient considérablement les victimes, et empêcheraient que ces troubles ne s’installent dans la chronicité.

« Tous ceux qui ne veulent pas renoncer à une rencontre véritable et à l’amour, et heureusement ils sont nombreux, doivent se battre pour sortir de ces schémas réducteurs et emprisonnants. Les femmes et aussi les hommes pourraient y gagner beaucoup, en récupérant une sexualité non traumatique, enfin libre, avec un plein accès à leur désir et à leur plaisir. » (p. 181)

Les violences sexuelles commencent bien souvent dès le plus jeune âge et dans le cercle familial. Elles participent au cycle de la violence sociale et de la violence misogyne de la société.

III. Le cycle de la violence

  • Inceste et pédocriminalité : 81 % des violences sexuelles dont 94 % sont incestueuses ;
  • “Colonisation psychique” de l’agresseur dans le cerveau de la victime ;
  • Stéréotypes sexuels construits d’après les psychotraumatismes ;
  • Déni massif et loi du silence.

Le cycle de la violence s’installe car :

  1. des victimes deviennent des bourreaux ;
  2. les victimes d’autant plus fragiles si elles ont été agressées enfants et par des proches, risques de développer des conduites de soumission ;
  3. elles ont beaucoup de mal à se relever à cause des psychotraumatismes ;
  4. mais aussi à cause du déni et de la loi du silence sur ce sujet ;
  5. maintenu par les stéréotypes sexuels ;
  6. ces mêmes stéréotypes sexuels confortant les victimes et les bourreaux dans leurs comportements.

Les psychotraumatismes liés aux violences subies dans l’enfance expliquent en partie les comportements à risques et asociaux des victimes devenues adultes qui n’ont pas été prises en charge correctement. Certains comportements de soumission ou d’agressivité trouvent leur origine dans les violences sexuelles subies dans l’enfance, au sein de la famille, de l’école ou des institutions de protection de l’enfance :

« (…) pour les victimes de violences sexuelles de l’enfance, leur mémoire traumatique et leurs conduites dissociantes font qu’il peut leur paraître, de façon paradoxale et incompréhensible, plus ‘‘facile’’ de vivre avec un pervers ou un agresseur qui ‘‘traitera’’ immédiatement leur mémoire traumatique (allumée par le danger qu’il fait courir) en créant un état dissociatif et anesthésiant, qu’avec quelqu’un de respectueux et aimant. » (p. 136)

La mémoire traumatique explique également pourquoi certaines victimes recherchent des relations sexuelles violentes, confondant pseudo-orgasme et disjonction.

« Les violences psychologiques sont une véritable entreprise de démolition identitaire utilisée pour conditionner les victimes à se ressentir comme n’ayant aucune valeur, ni aucun droit, comme étant inférieures, incapables, incompétentes, inintelligentes, coupables, réduites à une chose. Elles ont pour but de brouiller tout repère chez la victime et de la maintenir dans un état d’incompréhension, de peur et de culpabilité. Elles arrivent à détruire chez la victime toute possibilité de s’opposer aux injonctions et aux mises en scène de l’agresseur. La victime peut alors se transformer en esclave sexuelle, formatée pour répondre comme un automate à tous les désirs de son bourreau, dans une totale dépendance. » (p. 185)

La loi du silence qui règne à l’intérieur des familles et du couple, mais aussi dans la société toute entière, participe également au cycle de la violence. Il est trop souvent demandé à la victime « de ne pas faire de vagues, de ne pas ‘‘détruire’’ la famille, le couple, d’être compréhensive, d’être gentille, de comprendre que ‘‘ce n’est pas si grave, qu’il y a pire ailleurs.’’ » (p. 38)

La mémoire traumatique et la loi du silence expliquent pourquoi les victimes d’inceste attendent en moyenne 16 ans avant de révéler leur agression. Lorsque l’agression est révélée à une première personne, les victimes sont capables de révéler les agressions à d’autres personnes (98 %). Il est donc essentiel d’aller vers elles et de les écouter.

La vulnérabilité des victimes les expose, plus que le reste de la population, à des violences de la part de proches et des soignants :

« D’après des études américaines, environ 10 % des médecins, psychiatres et psychologues avaient eu des contacts sexuels avec leurs patients, et au moins 89 % des contacts sexuels dans le cadre de relations professionnelles du domaine de la santé avaient eu lieu entre un homme professionnel et une femme cliente. Le manque d’empathie des proches et des professionnels accentue cette vulnérabilité. » (p. 343)

Le manque d’empathie des proches et des professionnels accentue cette vulnérabilité.

« La cruauté mentale est poussée à un paroxysme face à une victime en détresse et terrorisée, puisque l’agresseur lui signifie que non seulement il est indifférent à sa souffrance, qu’il provoque intentionnellement, mais qu’il en tire un grand plaisir au point d’en jouir sexuellement. Il lui signifie aussi que son corps ne lui appartient plus, qu’il est devenu un objet dont il prend possession et sur lequel il a tout pouvoir. Ces aspects rendent les violences sexuelles encore plus destructrices, c’est pourquoi elles sont aussi utilisées comme des armes de guerre, d’oppression, de répression par la terreur, de ‘‘purification ethnique’’ comme cela a été le cas avec les viols systématiques de femmes bosniaques, kosovares ou tutsies, ou plus récemment à Conakry en Guinée lors de la répression sanglante par la junte le 28 septembre 2009, en Libye et en Syrie. » (p. 55)

Les viols de guerre sont pratiqués par toutes les armées et par de nombreux peuples indigènes, notamment ceux qui valorisent la guerre et l’image du guerrier.

Conclusion

Comprendre les mécanismes psychotraumatiques est un premier pas pour mettre fin au cycle de la violence. C’est pour cela qu’il est important de diffuser ces connaissances auprès du grand public et de militer pour une formation de tous les professionnels qui sont susceptibles d’accompagner des victimes. Les psychotraumatismes doivent être pris au sérieux. Les violences sexuelles ne doivent pas rester impunies et les préjudices qu’elles ont entraînés doivent être réparés. Une éducation au respect du corps d’autrui est également indispensable.

La famille est le lieu où s’exercent la majorité des violences physiques et psychiques : 44 % des plaintes déposées pour violences physiques ou sexuelles enregistrées par les services de sécurité concernent des violences commises au sein de la famille. 66 % des homicides sur enfants de moins de 15 ans ont lieu dans le cadre intrafamilial :

« Sous le prétexte que des espaces comme la famille, le couple, l’amour, le sexe seraient des zones intouchables, hors normes, d’une autre essence, elles deviennent des zones de non-droit, des espaces totalitaires où des privilèges inouïs peuvent s’exercer en contradiction totale avec l’inaliénabilité de la personne humaine et ses droits fondamentaux. » (p. 343)

Muriel Salmona propose donc de mettre en place une loi qui interdit, sans équivoque et sans exception, toutes les violences exercées sur le corps des nourrissons, des bébés, des enfants, des adolescents et des jeunes, une loi qui supprime le droit de correction des parents sur le corps de leurs enfants.

D’un point de vue purement citoyen et humain, toute victime doit être secourue sans délai et mise hors de danger, entourée, accompagnée, aidée et soignée.

L’essai de Muriel Salmona est indispensable pour comprendre comment violences sociales (exploitation, oppression) et violences sexuelles s’articulent, se nourrissent. La

sphère privée est tout aussi politique que la sphère publique, elle participe tout autant à la reproduction d’individus traumatisés qui sont nécessaires au bon fonctionnement d’un système économique fondé sur la prédation et l’écrasement de l’autre.

Ana Minski

Relecture : William

Corrections : Lola